Arbitrage et contrat public

Arbitrage et contrat public

L’arbitrage dans le contentieux des contrats publics est un sujet qui fait débat. 

1/ En principe interdit, le recours à l’arbitrage dans les contrats publics n’est possible que dans des situations très limitées.

Au niveau interne, la possibilité de recourir à l’arbitrage est limitée à des catégories de contrats « nationaux », tels, notamment, que les marchés publics (art. 128 du Code des marchés publics, très peu usité), les contrats de partenariat (art. 11 de l’Ordonnance du 17 juin 2004) et les concessions d’énergie hydraulique (art. 25 de la loi du 16 octobre 1919). Elle est également autorisée pour des catégories déterminées de personnes, telles, par exemple, que les établissements publics industriels et commerciaux qui y sont spécifiquement habilités (art. 2060 C. Civ.) et les Chambres de commerce et d’industrie (art. L.710-1 C. Com).

Au niveau international, la possibilité de recourir à l’arbitrage pour des contrats publics internationaux, c’est-à-dire conclus avec des opérateurs étrangers, est plus complexe. Elle repose en effet sur la combinaison de lois ad hoc et de convention internationale.

C’est, principalement, l’article 9 de la loi du 16 août 1986 (portant dispositions diverses relatives aux collectivités locales) qui permet le recours à l’arbitrage dans des situations très circonscrites (« … pour la réalisation d’opérations d’intérêt national »).

La France est par ailleurs signataire de la Convention de Genève de 1961 (Convention européenne sur l’arbitrage commercial international du 21 avril 196l) et de la Convention de Washington de 1965 (Convention pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements entre Etats et Ressortissants d’autres Etats du 18 mars 1965) qui prévoient la capacité d’arbitrage des personnes publiques.

2/ C’est dans ce contexte juridique que le débat sur le recours à l’arbitrage pour les contrats publics a été relancé d’abord un rapport remis en 2007 (Rapport Labetoulle 13/03/2007) qui a proposé de l’ouvrir pour permettre plus largement la résolution de litiges dans les contrats publics.

Puis ce débat a été récemment nourri par la décision du tribunal des conflits du 17 mai 2010 (INSERM, n° 3754) qui a, en synthèse, jugé qu’il n’y avait pas d’obstacle de principe à qu’un contrat public mettant en jeu les intérêts du commerce international relève de l’arbitrage « de droit commun » et, par conséquent, du juge judiciaire.

Cette décision a néanmoins prévu une restriction de taille en considérant que si la situation implique le contrôle de la conformité de la sentence aux règles impératives du droit public français (relatives au domaine public ou au droit de la commande publique), alors la juridiction administrative est compétente.

Il en résulte en pratique que la dualité du système juridictionnel français vaut également en matière d’arbitrage.

3/ Ce débat est aujourd’hui relancé par la proposition faite dans le rapport Prada de mars 2011 relatif à certains facteurs de renforcement de la compétitivité juridique de la place de Paris et sur la base duquel le Ministère de la Justice ouvre une consultation publique (a).

En effet, bien que le Président du Conseil national de normalisation des comptes publics n’ait pas été expressément et spécifiquement interrogé sur ce sujet, il s’en est emparé de façon explicite – en posant directement les problématiques générées par la décisionINSERM précitée – et immédiate – en le traitant dès le 1er chapitre de son rapport.

Ainsi, après avoir relevé les problématiques résultant de la décision INSERM le rapport propose une solution consistant à permettre aux personnes publiques de compromettre, à « préciser ex-ante, dans un texte de nature législative, les principes essentiels du droit public français auxquels les entités publiques françaises, dans les contrats qu’elles passent, comme les arbitres internationaux, dans les sentences qu’ils rendent, ne peuvent contrevenir » puis à confier aux juridictions de l’ordre judiciaire un bloc de compétence exclusif pour l’examen des recours contre les sentences arbitrales.

4/ La solution proposée est indubitablement séduisante et a le mérite de raviver le débat.

Elle conduit ainsi à s’interroger sur la capacité d’inscrire dans le « marbre » d’un texte les principes essentiels du droit administratif français. De surcroît, au-delà de la capacité « rédactionnelle », une telle solution génère, en pratique des inconvénients : on le sait d’expérience, tout procédé de systématisation textuelle à son revers.

Surtout, notre système juridique reste – au demeurant comme dans de nombreux autres pays – fondé sur une distinction entre le droit applicable aux personnes publiques et celui applicable aux personnes privées (ce qui se traduit par le dualisme juridictionnel). Quoi qu’on en pense, ce système est, à ce jour, incontournable.

Or, l’on sait également que procéder par bloc de compétence pour contourner le dualisme juridique et juridictionnel n’est pas, contrairement à ce qu’on peut penser de prime abord, source de simplification et de solutions pratiques et opérationnels pour les justiciables. On en a déjà fait l’expérience en France avec le droit de la concurrence dont de l’ordonnance de 1986 érigeait un bloc de compétence qui n’a jamais été « entier ».

Pourquoi alors ne pas, peut-être plus simplement, organiser un mécanisme de questionnement préjudiciel ? La solution ne pourrait-elle pas être, par exemple, de confier la procédure sur le litige d’arbitrage à la juridiction civile tout en obligeant cette dernière à interroger la juridiction administrative lorsqu’il faut vérifier le respect des principes essentiels du droit public français ?

Cette proposition de solution présente certainement d’autres inconvénients. Mais elle pourrait avoir – probablement – le mérite d’éviter d’opposer les ordres de juridiction, de renforcer le dialogue des juges et ainsi de contribuer à une meilleure sécurité juridique en prévenant de potentielles divergences d’interprétation sur un sujet aussi essentiel et large que les principes essentiels du droit public français des contrats (nationaux et internationaux).

Alexandre Le Mière
Avocat associé

(a) 

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