Urbanisme : quand la situation économique du constructeur justifie la suspension de la décision administrative

Urbanisme : quand la situation économique du constructeur justifie la suspension de la décision administrative

1- Les constructeurs et promoteurs sont, malheureusement, souvent confrontés à des décisions administratives entravant leur projet immobilier qui peuvent avoir ou ont des conséquences économiques graves.

Compte tenu des enjeux et des contraintes financières et économiques auxquels ils sont confrontés, il est impératif qu’il puisse agir en urgence contre les décisions administratives de refus d’autorisation d’urbanisme.

A cette fin, ils peuvent (concomitamment à un procès au fond) engager une procédure de référé suspension (art. L.521-1 CJA) qui implique, d’abord, de démontrer qu’il y a effectivement urgence à prendre une décision provisoire (et qui nécessite, ensuite, de démontrer que l’on peut sérieusement douter de la légalité de la décision administrative contestée).

2- Du point de vue du constructeur, le motif le plus fréquent essentiel (et réel), justifiant d’agir en urgence est économique et financier : en effet, le lancement d’un projet immobilier repose très souvent sur des investissements a priori qui ne trouveront leur compensation que par la vente du projet.

Il est cependant assez fréquent que le juge administratif minimise cet aspect et refuse de reconnaitre l’urgence de la situation, de sorte que de nombreux constructeurs et promoteurs peuvent se retrouver dans une situation critique, voire catastrophique lorsque leur référé est rejeté.

Il appartient cependant au juge administratif de veiller à analyser correctement et précisément la situation au regard de l’urgence à statuer, ainsi qu’une affaire récente (CE, 10 juin 2015, Société Les Hauts de Martignas, req. n° 380810) vient le rappeler.

3- En l’espèce, le constructeur s’était vu opposer par la Commune un sursis à statuer sur une demande permis de construire 80 logements, c’est à dire un report de l’instruction de la demande à deux ans.

Il avait alors saisi, en référé suspension, le tribunal administratif de Bordeaux pour obtenir la neutralisation de ce sursis à statuer et qu’il soit, en conséquence, enjoint à la Commune d’instruire sa demande de permis de construire à bref délai.

Mais, le juge du référé a rejeté la requête pour défaut d’urgence en considérant que les pertes liées à cette opération ne seraient que minimes et qu’il n’y avait donc pas lieu de revenir sur la décision de la Commune de reporter à deux ans l’instruction du permis.

En cassation le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance du tribunal administratif en considérant que ce dernier avait dénaturé les pièces du dossier.

Il ressortait en effet des éléments présentés par le requérant que des dépenses importantes avaient été préalablement engagées et que des emprunts importants avaient été contractés par la société (mère de celle portant la demande de permis de construire) de sorte que son équilibre financier se trouvait menacé par le retard apporté au programme du fait de la décision de sursis à statuer.

Pour le Conseil d’Etat, ces éléments constituaient des circonstances particulières démontrant que la décision de sursis à statuer affectait gravement sa situation et qu’il y avait donc lieu de statuer urgemment sur la demande de référé (l’ordonnance du tribunal administratif a donc été annulée en conséquence).

En l’espèce, le Conseil d’Etat a finalement rejeté la demande du constructeur mais au seul motif que, parallèlement à la procédure, il avait fait une seconde demande de permis de construire (pour un projet différent) sur le même terrain et que celui-ci lui avait été accordé.

4- Les constructeurs et promoteurs ne peuvent ainsi qu’être incités à ne pas négliger les aspects relatifs au montage économique et financier de leurs projets immobiliers.

Ils sont en effet déterminants s’il faut agir en urgence contre une décision administrative défavorable de refus de permis de construire ou, comme en l’espèce, de sursis à statuer.

Car, sur ce point, la décision du Conseil d’Etat est très claire : il appartient au requérant de faire valoir des circonstances précises et particulières qui démontrent que la situation du demandeur au permis de construire est gravement affectée par la décision administrative contestée.

Les aspects économiques et financiers du projet doivent donc non seulement être clairs et objectivement démontrables (à l’aide par exemple d’une note d’un expert-comptable), mais ils doivent également montrer qu’à défaut d’autorisation d’urbanisme la situation ou l’équilibre économique du demandeur au permis de construire est réellement menacé.

Alexandre Le Mière

Avocat associé

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