Contrat public : l’office du juge du référé précontractuel est circonscrit
1- Le candidat évincé d’une procédure de passation d’un contrat public (marché public, délégation de service public, PPP … etc.) a la possibilité de saisir le juge du référé précontractuel pour contester le résultat de la consultation.
Le juge du référé précontractuel doit, quant à lui, vérifier si les obligations de publicité et de mise en concurrence ont été respectées par l’acheteur.
Il doit en effet contrôler si les conditions et modalités suivant lesquelles les opérateurs économiques ont été informés du projet d’achat, puis suivant lesquelles leurs offres ont été comparées, sont conformes à la réglementation et respectent l’égalité de traitement des candidats.
Son office, c’est à dire sa mission de contrôle, ne doit pas aller au-delà : c’est à dire que le juge ne peut pas se substituer à l’acheteur en appréciant la valeur ou les mérites mêmes de l’offre.
La limite de l’office du juge s’explique notamment par le fait que n’étant pas un technicien de l’objet acheté, le juge n’est pas à même, techniquement, d’apprécier si l’offre est « valable », c’est à dire opportune ou adéquate, au regard de la prestation à exécuter : il doit donc s’en tenir aux éléments de droit.
2- Le Conseil d’Etat a rappelé ce principe (CE, 20 janvier 2016, Société Derichebourg Polyurbaine, req. n° 394133) en formulant plusieurs indications qui permettent de mieux comprendre l’office du juge de la passation du contrat.
2.1- Tout d’abord, le juge du référé précontractuel ne peut se prononcer :
- ni sur l’appréciation portée par l’acheteur sur la valeur d’une offre,
- ni sur les mérites respectifs des différentes offres.
Cela signifie qu’il n’a pas à se prononcer tant sur la façon dont l’acheteur a pu porter une appréciation sur la valeur d’une offre, que sur son mérite intrinsèque.
A cet égard et à titre d’illustration, il se peut qu’une offre réponde techniquement à telle exigence de la consultation mais que la façon d’y répondre ou de la mettre en œuvre proposé par le candidat puisse justifier une appréciation sur son aspect plus ou moins efficace (ce qui aura une conséquence sur la notation). C’est ce type d’appréciation que le juge du référé ne peut pas appréhender lors du contrôle de la régularité de la procédure de passation.
2.2- Ensuite, le juge doit seulement se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence.
Cela signifie qu’il doit vérifier si les informations qui doivent être données aux opérateurs économiques pour répondre à une consultation en vue de l’attribution d’un contrat public sont suffisantes et adéquates au regard :
- d’une part du projet porté par l’acheteur ;
- et d’autre part quant aux « règles du jeu », c’est à dire aux modalités posées pour répondre à la consultation ainsi qu’aux conditions retenues pour l’appréciation des offres.
2.3- Enfin, et c’est là un aspect essentiel de la décision rendue par le Conseil d’Etat, le juge doit vérifier que l’acheteur n’a pas dénaturé l’offre du candidat lorsqu’il l’a analysé et apprécié.
Cela signifie que le juge de la passation du contrat doit vérifier que l’offre du candidat a bien été analysée et appréciée au regard de son contenu, c’est à dire « fidèlement » au regard de ce qui a été proposé par ce candidat, sans avoir été modifié.
3- Dans l’affaire précitée, le juge du référé précontractuel avait constaté que l’acheteur avait apprécié l’adéquation entre le prix proposé par un candidat et le nombre de personnes affectées à l’exécution de la prestation.
Cette appréciation avait conduit l’acheteur à reprendre le décompte des personnes affectées à l’exécution du marché puis à considérer l’offre du candidat n’était pas la moins-disante.
Il semble en effet que le candidat avait fait une présentation particulière de son offre sur ce point, ce qui avait conduit l’acheteur à « reconsidérer » les données de l’offre pour pouvoir l’apprécier et la comparer avec les autres offres de façon conforme aux règles de la consultation.
Le juge du référé précontractuel avait annulé la procédure de passation en considérant que l’acheteur avait « modifié » l’offre de ce candidat et que l’acheteur l’avait ainsi irrégulièrement écartée.
Le Conseil d’Etat annule l’ordonnance du 1er juge en considérant qu’il ne s’était pas borné à vérifier si l’offre avait été dénaturée mais qu’il s’était également prononcé sur l’appréciation qu’avait portée l’acheteur sur la valeur de l’offre du candidat.
En l’espèce, l’arrêt du Conseil d’Etat n’explique pas précisément en quoi le 1er juge s’était prononcé sur cette appréciation.
On comprend toutefois que la présentation particulière de l’offre par le candidat n’interdisait – évidemment – pas l’acheteur d’apprécier les données de l’offre au regard des règles de la consultation. On en déduit que le 1er juge aurait considéré que l’appréciation portée par l’acheteur sur l’adéquation prix/nombre de personnes était elle-même irrégulière et ne justifiait pas qu’il écarte l’offre du candidat.
Le Conseil d’Etat sanctionne donc la décision du 1er juge en indiquant qu’il ne pouvait pas annuler la procédure de passation du contrat en se fondant sur la façon de l’acheteur avait apprécié la valeur de l’offre du candidat.
4- Cette décision est très utile pour les opérateurs économiques en ce qu’elle permet de mieux comprendre et circonscrire l’office du juge de la passation des contrats publics et, partant, de mieux jauger l’utilité et l’opportunité d’agir en référé précontractuel.
Elle doit également inciter les opérateurs économiques à être très précis lors de la constitution et l’élaboration de leurs offres.
En effet, moins l’offre est précise et moins elle répond spécifiquement aux besoins de chaque consultation (tant au regard de l’objet de la prestation attendue qu’au regard de l’adéquation de la présentation de l’offre aux données du dossier de consultation) plus l’acheteur dispose de marges – volontaires ou involontaires – de manœuvre pour une application – plus ou moins rigoureuse – des règles de la consultation lors de l’analyse des offres.
Ainsi, déposer une offre précise et adéquate c’est à la fois accroitre ses chances de remporter la consultation, se prémunir contre une appréciation « infidèle » de son offre et enfin disposer de moyens efficaces de contestation de la procédure de passation si elle n’a pas été menée par l’acheteur conformément aux règles annoncées.
Alexandre Le Mière
Avocat associé