1. L’Ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 oblige certaines personnes privées à mettre en œuvre des procédures de publicité et de mise en concurrence préalablement à la conclusion (signature) de leur contrat.
Les modalités de formation et de conclusion du contrat sont donc encadrées et fixées par cette réglementation spécifique (proche du droit des marchés publics spécifiquement régi par le Code des marchés publics).
Cependant, les dispositions issues de l’Ordonnance de 2005 (et de ses décrets d’application n° 2005-1308 du 20 octobre 2005 et n° 2005-1742 du 30 décembre 2005) doivent se combiner avec les règles usuelles applicables aux contrats. Il s’agit principalement des dispositions du Code civil (et notamment des articles 1101 et suivants).
2. Le dispositif juridique issu de l’Ordonnance de 2005 (appelé à évoluer prochainement en raison de l’adoption de nouvelles directives communautaires en la matière) instaure un mécanisme de « contrat d’adhésion ».
En effet, les prestataires et fournisseurs ne peuvent pas procéder de gré à gré avec les acheteurs et n’ont pas la possibilité de discuter et négocier comme ils l’entendent avec l’acheteur les termes de leur contrat.
L’obligation imposée de rationaliser le processus d’achat, de définir en amont les besoins (qu’achète-t-on ?) et d’indiquer aux candidats dès l’origine les règles du jeu (comment achète-t-on ?) conduit l’acheteur à élaborer un projet de contrat auquel les candidats doivent s’adapter et répondre. A défaut, ils ne remporteront pas la mise en concurrence.
En bref, le candidat doit adhérer au projet de contrat et s’y conformer pour tenter de l’obtenir (étant rappelé que les hypothèses et marges de négociation sont réduites – voire interdite dans certains cas).
Cependant, ce mécanisme « d’adhésion » n’a pas vocation à conférer un l’acheteur un pouvoir d’unilatéralisme, d’’arbitraire ou d’exorbitance à l’égard des entreprises candidates.
3. Si l’acheteur a l’obligation définir les règles (du contrat et de la passation) en amont qui s’imposent aux candidats, il a dans le même temps lui-même l’obligation de les respecter. Il doit respecter les règles qui a lui-même défini.
C’est ce que la Cour de cassation vient de rappeler dans un arrêt du 12 mars 2014 (Civ. 3ème, Société Jaffre, n° 13-11183), en confirmant un précédent arrêt de la Cour d’appel de Paris (Pôle 4 Chbre 5, 12 décembre 2012, n° 11/03925).
Dans cette affaire l’acheteur privé (soumis à l’ordonnance de 6 juin 2005 et au décret du 30 décembre 2005) avait lancé un marché de travaux pour la construction de logements sociaux collectifs.
Au terme de la consultation, l’acheteur avait notifié par courrier au candidat qu’il avait remporté la mise en concurrence, en lui indiquant en outre le planning des étapes à venir. Postérieurement à cette notification, l’acheteur avait sollicité du candidat – qui y a répondu – des adaptations de son devis en raison de modifications du projet initial.
Cependant, quelques mois après, l’acheteur a signifié au candidat que, finalement le marché ne serait pas signé.
Ce candidat, considérant que le marché avait été conclu à compter du jour où l’acheteur lui avait notifié qu’il avait remporté la consultation, a donc assigné l’acheteur afin d’obtenir la résiliation du marché de travaux à ses torts exclusifs et sa condamnation à lui régler une indemnité correspondant au manque à gagner escompté au titre de l’exécution du contrat.
4. La Cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation, a d’abord retenu que le contrat avait été effectivement formé entre les parties à compter de la notification adressée par l’acheteur au candidat lui indiquant qu’il avait remporté l’appel d’offres.
Sur ce point, elle indique que « le contrat naît de la rencontre des consentements des parties sur la choses à laquelle elles s’obligent réciproquement. (…). Cet accord sur la chose et sur le prix est constitutif en soi d’un engagement contractuel qui oblige les parties, même si les modalités d’exécution n’ont pas été définies ».
La Cour d’appel a ensuite indiqué que, contrairement à ce que soutenait l’acheteur, les termes du règlement de la consultation ne lui permettaient pas, a posteriori, de refuser ou écarter l’offre du candidat lauréat.
En effet, l’acheteur avait inséré dans son règlement de la consultation une mention (très classique et habituelle) indiquant aux candidats qu’il pouvait à tout moment, tant que le marché n’était pas signé, ne pas donner suite à la consultation. L’acheteur avait précisé que cette faculté de renoncer pouvait être mise en œuvre pour un motif d’intérêt général.
En l’espèce, la Cour d’appel a constaté qu’il n’y avait aucun motif d’intérêt général qui aurait pu justifier que l’acheteur soit en situation de renoncer au marché après avoir notifié au candidat qu’il avait été retenu.
Par conséquent, la Cour a retenu que le marché avait bien été passé et que le candidat était bien fondé à solliciter sa résiliation aux torts exclusifs de l’acheteur. Elle a ensuite fait droit aux conclusions indemnitaires correspondant au manque à gagner escompté par l’entreprise au titre de l’exécution du contrat.
5. Il appartient donc aux acheteurs d’être vigilants lorsqu’ils définissent les règles du jeu de la passation d’un marché soumis à l’Ordonnance de 2005. Le mécanisme de contrat d’adhésion fixé par l’Ordonnance de 2005 ne les autorise pas à décider arbitrairement et imposer unilatéralement leur volonté aux opérateurs économiques.
A cet égard, ils ne peuvent pas se considérer automatiquement et pleinement protégés au seul motif qu’ils insèrent des clauses dans leur règlement de la consultation leur permettant d’abandonner leur projet selon leur bon vouloir et sans aucune condition.
Parallèlement, on ne peut qu’inciter les entreprises candidats à se faire respecter lorsqu’il apparait que les acheteurs ont des comportements abusifs ou arbitraires. Elles peuvent le faire dès l’origine de la consultation soit en notifiant à l’acheteur les raisons pour lesquelles elles renoncent à candidater. Elles peuvent le faire pendant la consultation en posant des questions à l’acheteur afin d’obtenir des précisions complémentaires. Elles peuvent, enfin, le faire après la consultation soit en contestant la procédure (lorsqu’elles n’ont pas remporté l’appel d’offres) soit, comme dans l’affaire commentée, en considérant que le contrat a bien été conclu.
Alexandre Le Mière
Avocat associé