Rupture brutale de relations commerciales établies et durée de ces relations
A l’instar des relations conjugales qui lorsqu’elles sont rompues donnent lieu à une compensation calculée en fonction du temps qu’elles ont duré, l’article L. 442-6, I-5° C. com. fonde la faute qui consiste à rompre une relation commerciale établie sur sa longévité.
C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’expression de « relations établies » telle qu’elle est utilisée par le législateur.
Deux décisions récentes de la Cour de cassation l’illustrent parfaitement.
Dans une première espèce, une société pétrolière avait conclu un contrat de distribution de carburant avec un garagiste qui avait duré de 1979 à 1997. Après cette date, une autre société pétrolière avait repris les obligations de la première et, en 1999, cette société avait conclu avec ce même garagiste un nouveau contrat, mais cette fois de commission. Puis, en septembre 2003, la société pétrolière informait le garagiste qu’elle cessait avec lui toute relation contractuelle à compter du 31 décembre de la même année.
La cour d’appel avait estimé que le délai de préavis de trois mois était raisonnable et suffisant au regard de la durée de la relation commerciale, de sorte qu’aucune indemnité n’était due au garagiste éconduit. La décision est cependant censurée par la Cour de cassation par un arrêt du 29 janvier 2008 qui estime que le point de départ de la relation se situait non pas en 2003, mais en 1979, date de son commencement effectif, la première société pétrolière ayant cédé son contrat à la seconde.
Dans la seconde espèce, une société qui vendait des logiciels informatiques avait noué des relations commerciales avec un fabricant de logiciels afin de les commercialiser en tant que distributeur.
La relation n’ayant duré que quelques mois, la Cour de cassation dans une décision du 18 décembre 2007 rejette le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel qui avait retenu l’absence du caractère établi de cette relation.
C’est donc bien la longueur de la relation qui fonde son caractère établi et c’est du caractère établi de cette relation que découle le caractère brutal de la rupture.
Ces décisions apportent un éclairage intéressant sur les rapports entre le droit spécial du Code de commerce et le droit commun du Code civil concernant la brutalité de la rupture. En effet, l’article 1134 et le principe de bonne foi n’exigent aucune durée dans les relations pour recevoir application. Ce qui compte, ce sont les circonstances de la rupture, son caractère violent et inattendu.
En revanche, l’approche de l’article L. 442-6, I-5°) C. com. est beaucoup plus objective puisqu’elle repose sur la durée des relations. C’est donc la constance et la continuité de la relation commerciale qui rendent sa rupture brutale et la Cour de cassation semble indiquer qu’il importe peu que des contrats différents se soient succédés dans le temps.
La longévité d’une relation contractuelle fonde ainsi son intensité et il paraît indifférent que la rupture ait été consommée sans violence, en particulier si le préavis contractuellement prévu a été respecté. Pour compléter ce tableau du droit positif, on rappelera que le droit spécial ne peut pas être invoqué lorsque l’auteur de la rupture n’est ni producteur, commerçant ou industriel.
On peut alors invoquer le droit commun de l’article 1134 du Code civil, soit pour dire que les circonstances de la rupture sont brutales, soit pour dire que ces relations ont suffisamment duré pour être brutales.
(Cass. com. 29 janvier 2008 n°07-12.039 ; Cass. com. 18 décembre 2007 n°06-10.390)
Frédéric Fournier
Avocat Associé