La prescription administrative est fixée à un an !

La prescription administrative est fixée à un an !

  1. Les décisions prises par l’administration ont, généralement, des conséquences sur la situation des personnes (physiques ou morales), parfois importantes et parfois également inattendues, impliquant qu’elles doivent pouvoir les contester.

Dans le même temps l’efficacité administrative implique que les décisions de l’administration ne puissent pas être remises en cause indéfiniment.

Aussi est-il nécessaire de trouver un point d’équilibre entre l’intérêt de l’administré qui doit pouvoir contester et/ou faire remettre en cause une décision administrative qui l’affecte et la bonne marche de l’administration qui doit pouvoir s’assurer de la pérennité de ses décisions.

  1. La règle, ancienne, est que les décisions de l’administration peuvent être contestées par l’administré, soit auprès de l’autorité qui a pris la décision, soit auprès de son supérieur hiérarchique, soit encore auprès de la juridiction administrative.

Mais, afin d’éviter que ces décisions ne puissent être éventuellement remises en cause trop longtemps après avoir été prises, l’administré peut (et doit) contester les décisions administratives dans un délai fixé par la réglementation.

Le délai de « droit commun » (c’est à dire celui communément appliqué en l’absence de texte spécifique prévoyant un autre délai) est de deux (2) mois.

Cependant (et notamment compte tenu de l’asymétrie existant entre l’administré et l’administration), ce délai n’est opposable à l’administré qu’à la condition qu’il en ait été clairement informé par la mention des délais et voies de recours pouvant être exercées contre la décision l’affectant. A cet égard, le Conseil d’Etat a expressément jugé il y a plusieurs années qu’il s’agissait là d’une exigence absolument substantielle (CE, Sect., 30 juin 2000, Monsieur E. A., req. n° 151068).

Ainsi, la règle était que si l’administration n’avait pas clairement informé au préalable l’administré de la règle du jeu, alors ce dernier pouvait sans délai, et donc même plusieurs années après, contester la décision de l’administration.

  1. Le Conseil d’Etat a rompu cet équilibre par une décision du 13 juillet 2016 (CE, Ass., Monsieur A … B…, req  n° 387763) en décidant que désormais l’administré non informé des délais et voies de recours contre une décision de l’administration l’affectant ne pourrait la contester que dans un délai maximal d’une année.

Le Conseil d’Etat a justifié cette nouvelle règle, totalement prétorienne (c’est à dire arrêtée par le Conseil d’Etat lui-même sans faire application d’aucune disposition légale ou réglementaire édictée par le Parlement ou le Gouvernement), par le principe de sécurité juridique et la durée d’un an par la notion de délai raisonnable.

Le Conseil d’Etat a, également, indiqué dans cette décision que cette nouvelle règle s’applique à toutes les situations en cours, y compris donc aux litiges dont le juge aurait été saisi avant l’intervention de l’arrêt du 13 juillet 2016.

  1. La conséquence immédiate à tirer de cette décision est, pour les administrés, de s’assurer que les décisions qu’ils auraient reçues de l’administration ou dont ils auraient connaissance (alors même qu’elles n’auraient pas été formellement notifiées) et qu’ils envisagent de contester ont moins d’un an.

Si tel est le cas, ils doivent décider rapidement de les contester (ou non), tout en considérant par ailleurs et parallèlement que tout éventuel processus de discussion (informel) engagé avec l’administration implique nécessairement la connaissance de la décision prise par cette dernière.

La conséquence pratique de cette nouvelle règle posée par le Conseil d’Etat est que les administrés doivent désormais considérer devoir « immédiatement » agir à l’encontre des décisions de l’administration. Ils ne peuvent plus attendre en « tenant compte » de l’absence d’indication sur la décision administrative des modalités suivant lesquelles la décision doit être contestée.

  1. Parallèlement aux conséquences immédiates et pratiques qui viennent d’être évoquées, la nouvelle règle décidée par le Conseil d’Etat suscite de très nombreuses interrogations.

Toutes ces interrogations ne peuvent être appréhendées, anticipées ou abordées ici, mais – sans prétendre à aucune exhaustivité – certaines peuvent déjà être posées.

5.1. Il est d’abord légitime de s’interroger sur l’efficacité de la règle posée par le Conseil d’Etat.

En effet, et d’une part, cette nouvelle règle ne peut qu’inciter l’administration à s’abstenir d’indiquer la règle du jeu aux administrés ; or, dès lors que la raison d’être de l’administration est et reste de servir les administrés, on a du mal à saisir et comprendre l’adoption d’une règle qui, par nature, ne joue qu’au profit de l’administration et au détriment de l’administré (et qui, en outre, ouvre la porte à des postures et des stratégies de l’administration) …

D’autre part, cette nouvelle règle interdit l’accès au juge, c’est à dire la possibilité pour l’administré de pouvoir vérifier que la règle a été correctement appliquée par l’administration et, le cas échéant, de faire sanctionner l’irrégularité éventuellement commise ; or, là encore, on a du mal à saisir et comprendre une règle qui n’a in fine que pour seule conséquence de conforter l’administration dans ses éventuelles illégalités. Car, en effet, pouvoir contester une décision (c’est à dire avoir accès au juge) n’emporte pas automatiquement sa remise en cause, mais seulement la possibilité de pouvoir la faire contrôler systématiquement (et partant de la sanctionner uniquement quand elle est illégale et inversement de la confirmer lorsqu’elle est légale …).

5.2. Il est ensuite également légitime de s’interroger sur le délai d’un (1) an arrêté par le Conseil d’Etat.

D’une part, on relève que les prescriptions en matière civile sont de 5, 10 ou 30 ans en fonction des sujets (cf. loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile), ce dont il peut se déduire que le Législateur a considéré qu’il s’agissait – en fonction des matières – de durées raisonnables ; or, manifestement, le Conseil d’Etat ne considère pas que ces délais posés par le Législateur (qui ont le même objectif que de préservation de la stabilité des situations juridiques) sont raisonnables.

D’autre part, cette durée d’un an est en réalité et en pratique assez courte. En effet, dans de nombreux cas, l’administré n’est pas mis en mesure d’appréhender la portée et la conséquence de la décision dont il est l’objet : il ne s’en rend compte bien souvent qu’a posteriori lorsque ses effets se font concrètement sentir. Or, dans ce contexte, on comprend d’autant moins la solution arrêtée par le Conseil d’Etat qu’elle ne porte que sur le recours exercé par l’intéressé – c’est à dire celui qui est l’objet de la décision – auprès de l’administration (le délai de recours des tiers n’étant pas concerné par cette nouvelle règle posée par le Conseil d’Etat).

5.3. Il convient enfin d’appréhender que la notion de « décision » n’est elle-même pas toujours claire et circonscrite pour l’administration, voire pour le juge lui-même, et donc a fortiori pour l’administré.

Il suffit de se référer au récent Code des relations entre le public et l’administration qui fait état de nombreuses « décisions », en distinguant notamment entre celles décisoires ou non décisoires, celles créatrices de droit et celles qui ne le sont pas, pour saisir et comprendre que l’administré n’est pas toujours en situation de se rendre compte qu’une correspondance reçue de l’administration constitue une décision qui affecte sa situation.

De même, les récentes évolutions de la jurisprudence administrative qui ont fait entrer dans le champ des « décisions » les actes dits de droit souple (voir sur ce point brève Redlink 11/04/2016 : Le recours pour excès de pouvoir contre les actes de droit souple émis par les autorités de régulation) montrent à quel point la notion même de « décision » n’est pas toujours évidente aux yeux mêmes des instances juridictionnelles.

Ne laisser dans ce contexte qu’une seule année aux administrés pour éventuellement s’en plaindre apparait dès lors bien court.

  1. En l’état, on ignore ce qui a conduit le Conseil d’Etat à adopter cette nouvelle règle. On espère que l’éventuelle diffusion des conclusions du Rapporteur public permettra de le comprendre et partant d’en saisir toute sa portée et toutes ses conséquences ainsi que les progrès apportés par une telle décision.

Alexandre Le Mière

Avocat associé

 

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