Transaction sans rupture du contrat de travail et portée de l’effet libératoire des clauses de renonciation – Retrouvez l’article de Deborah Fallik Maymard paru sur Dalloz Actualité

La renonciation du salarié à ses droits nés ou à naître et à toute instance relative à l’exécution du contrat de travail ne rend pas irrecevable une demande portant sur des faits survenus pendant la période d’exécution du contrat de travail postérieure à la transaction et dont le fondement est né postérieurement à celle-ci.

Soc. 16 oct. 2019, FS-P+B, n° 18-18.287

Si la transaction en droit du travail a le plus souvent pour objet de régler les conséquences d’une rupture du contrat de travail, la décision du 9 octobre 2019 rappelle opportunément que la transaction définie à l’article 2048 du code civil comme un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître, peut avoir un domaine plus large. Le droit commun des obligations trouve à s’appliquer et doit permettre aux parties à un contrat de travail de conclure une transaction afin de mettre fin à un différend concernant l’exécution même du contrat.

En l’espèce, une salariée employée par le syndicat CFDT a contesté son coefficient de classification et partant le salaire afférent, en se fondant sur un accord collectif d’entreprise et en comparant sa situation à celle d’une de ses collègues de travail.

Une transaction est signée en 2007 afin d’attribuer le coefficient de classification souhaité à la salariée et met fin au litige entre les parties ; le contrat de travail reprend alors son cours.

Le protocole comportait une clause de renonciation générale qui disposait : « moyennant bonne et fidèle exécution de ce qui précède, Madame [X] déclare entièrement remplie de tous ces droits, qu’elle qu’en soit la nature, nés ou à naître qu’elle pouvait tenir tant de son contrat de travail que du droit commun ou des conventions ou accords collectifs qui étaient applicables au sein de l’UIR CFDT ; Madame [X] renonce expressément à toute instance, à tout recours et ou contestation de quelque nature que ce soir dérivant directement ou indirectement de l’exécution de son contrat de travail ; elle reconnait n’avoir plus aucune demande à formuler et ceci vis-à-vis de l’UIR CFDT ; déclare être remplie de tous ses droits au titre de l’exécution de son contrat de travail ; elle renonce pour elle-même, et ses ayant droits en application de l’article 1121 du code civil, à toute prétention et à toute indemnité, et à tout recours envers l’UIR CFDT ».

Par la suite, la salariée – soutenant être victime d’une discrimination salariale – introduit une instance afin de solliciter des rappels de salaire courant à compter de 2008, soit postérieurement à la conclusion de la transaction précitée.

La Cour d’appel a déclaré les demandes de la salariée irrecevables aux motifs que : « si l’objet originel du litige, éteint par la transaction était distinct des demandes actuelles, la transaction a un objet plus large que les simples revendications originelles de la salariée, qu’au titre des concessions réciproques, la salariée a renoncé aux droits nés ou à naître et à toute instance relative à l’exécution du contrat de travail, qu’en matière des effets de la transaction la doctrine de la chambre sociale de la Cour de cassation a évolué, les renonciations stipulées dans l’accord transactionnel n’étant plus éludées en référence au seul litige originel, que dès lors, les demandes de reconnaissance et d’indemnisation salariale, afférentes à l’exécution du contrat de travail sont couvertes par les renonciations stipulées qui doivent recevoir plein effet ».

Si la décision de la cour d’appel s’inscrivait effectivement dans le courant actuel de la chambre sociale de la Cour de cassation qui admet l’effet libératoire des clauses de renonciation rédigées en termes généraux, elle ne tenait pas compte du contexte de la transaction qui n’intervenait pas dans le cadre d’une rupture du contrat de travail.

Logiquement, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, au visa des articles 2044 et 2052 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, 2048 et 2049 du même code. « La renonciation du salarié à ses droits nés ou à naître et à toute instance relative à l’exécution du contrat de travail ne rend pas irrecevable une demande portant sur des faits survenus pendant la période d’exécution du contrat de travail postérieure à la transaction et dont le fondement est né postérieurement à la transaction. »

Cette décision permet de préciser les contours de l’effet libératoire de la transaction en droit du travail. En effet, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est longtemps opposée à l’effet libératoire des clauses transactionnelles rédigées en termes généraux. Après des années de jurisprudences fluctuantes et une divergence de point de vue avec l’assemblée plénière de la Cour de cassation (v. Cass., ass. plén., 4 juill. 1997, n° 93-43.375, D. 1998. 101 , note D. Boulmier  ; Dr. soc. 1997. 978, obs. G. Couturier  ; RTD civ. 1998. 134, obs. P.-Y. Gautier ), la chambre sociale a fini par reconnaître la validité de ce type de clause (Soc. 5 nov. 2014, n° 13-18.984 ; Soc. 11 janv. 2017, n° 15-20.040, D. 2017. 165  ; ibid. 2224, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ).

Avec la décision commentée, la Cour de cassation ajoute désormais une précision : si les clauses libératoires rédigées en termes généraux restent valables, elles ne privent pas le salarié de se prévaloir de demandes d’une part, portant sur des faits survenus pendant la période d’exécution du contrat de travail postérieure à la transaction et, d’autre part, dont le fondement est né postérieurement à la transaction.

La Cour de cassation entend limiter les effets libératoires des clauses de renonciation transactionnelle et souhaite clairement limiter leur portée en cas de transaction conclue pendant l’exécution du contrat de travail. Ainsi en cas de transaction en cours d’exécution du contrat de travail, la renonciation à un droit futur sera plus difficilement libératoire pour l’employeur sauf à démontrer que la demande repose sur un même fondement que l’objet originel de la transaction. On ne peut donc qu’approuver une solution logique. En pratique il serait compliqué pour un salarié de renoncer à un droit dont il ignore lui-même l’existence.

Deborah Fallik Maymard
Avocate associée
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