Accusations de harcèlement moral : possibilité de poursuivre l’auteur d’accusations mensongères.
Dans une décision du 28 septembre 2016 (Cass. 1re civ., 28 septembre 2016, nº 15-21.823 FS-PBRI), la Cour de cassation écarte toute possibilité d’engager des poursuites pour diffamation à l’encontre d’un salarié ayant dénoncé des agissements de harcèlement moral.
Toutefois, la mauvaise foi du salarié permet d’agir sur le fondement de la dénonciation calomnieuse et sur le fondement de l’article 1240 du Code civil (ancien article 1382 cciv.).
- Action contre le salarié sur le fondement de la dénonciation calomnieuse : l’article 226-10 du Code pénal
Concernant la diffamation, la Haute Cour considère que l’éventualité de telles poursuites aurait pour conséquence d’entraver l’effectivité du droit de dénoncer un harcèlement moral, en dissuadant notamment les victimes d’alerter leur employeur.
En revanche, si la mauvaise foi du salarié est établie, rien n’empêche en revanche d’agir sur le terrain de la dénonciation calomnieuse.
En l’espèce, une salariée avait dénoncé les agissements de harcèlement moral de deux supérieurs hiérarchiques.
La société et les deux salariés visés par ce courrier l’ont assignée devant les juridictions civiles afin d’obtenir réparation de leur préjudice, sur le fondement de la diffamation.
La salariée avait été condamnée par les juges du fond à verser 300 € de dommages-intérêts à ses deux supérieurs hiérarchiques.
L’arrêt a été cassé car selon les juges tout salarié dispose d’un « droit de dénoncer, auprès de son employeur et des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du Code du travail, les agissements répétés de harcèlement moral dont il estime être victime ».
Or, pour les Hauts magistrats, les exigences probatoires qui pèseront sur le salarié en cas de poursuites pour diffamation, « sont de nature à faire obstacle à l’effectivité [de ce] droit ».
En effet pour s’exonérer de sa responsabilité le salarié doit démontrer sa bonne foi (légitimité du but poursuivi, absence d’animosité personnelle, prudence dans l’expression et fiabilité de l’enquête) car les imputations diffamatoires sont présumées faites avec l’intention de nuire.
Mais la décision ajoute que « lorsqu’il est établi, par la partie poursuivante, que le salarié avait connaissance, au moment de la dénonciation, de la fausseté des faits allégués, la mauvaise foi de celui-ci est caractérisée et la qualification de dénonciation calomnieuse peut, par suite, être retenue ».
Prévue par l’article 226-10 du Code pénal, la dénonciation calomnieuse consiste en effet à dénoncer un fait que l’on sait totalement ou partiellement inexact et qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires contre une personne déterminée.
- Action contre le salarié sur le fondement de l’article 1240 du Code civil
La Cour d’appel de Paris (Pôle 6, chambre 7 – 16 Avril 2015 N° 13/00306) juge que la procédure en résiliation judiciaire du contrat (ou prise d’acte) fondée sur des accusations mensongères de harcèlement moral peut entraîner la condamnation de son auteur :
« (…) le fait d’attraire à la procédure et de mettre en cause ad-nominem son supérieur hiérarchique, sans élément de nature à permettre de présumer l’existence d’actes de harcèlement, et a fortiori sans élément nouveau en cause d’appel, fait dégénérer l’exercice de ce droit en abus. Le préjudice qui en est résulté pour le supérieur hiérarchique en cause s’est aggravé en raison de la persistance des accusations infondées portées à son encontre en cause d’appel, de sorte qu’il y a lieu de l’évaluer à 12000 euros ».
La Cour d’appel de Montpellier l’a également jugé (Cour d’appel Montpellier Chambre civile 2 A – 7 Mai 2009 – 2009-378506) :
« (…) le fait de porter des accusations de harcèlement moral à l’encontre d’un collègue est source de préjudice moral pour celui-ci (…) dès lors qu’elle jette l’opprobre sur ce salarié, porte atteinte à sa réputation professionnelle et à son honneur, et le contraint à répondre à une enquête et à se justifier auprès de son employeur comme des autres salariés. L’accusatrice est donc condamnée à réparer les conséquences de sa dénonciation et à indemniser sa collègue en lui réglant la somme de 1000 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l’article 1382 du Code civil ».
Benjamin Louzier
Avocat Associé