Le marché privé conclu en violation de l’Ordonnance de 2005 est nul : les cocontractants ne peuvent pas s’en prévaloir pour résoudre leurs différends

Le marché privé conclu en violation de l’Ordonnance de 2005 est nul : les cocontractants ne peuvent pas s’en prévaloir pour résoudre leurs différends

1. Certaines personnes privées, ayant des liens particuliers avec des personnes publiques, doivent respecter des obligations particulières pour passer et conclure leurs contrats.  

Ces personnes, qualifiées d’« organismes de droit privé », doivent en effet mettre en oeuvre une procédure préalable de publicité et de mise en concurrence au terme de laquelle ils pourront choisir leur cocontractant.

Cette consultation ou appel d’offres préalable des opérateurs économiques et fournisseurs est encadrée et régie par les dispositions de l’Ordonnance du 6 juin 2005 (n° 2005-649) et ses décrets d’application.

Cette réglementation est semblable, dans sa philosophie et ses principes, à celle résultant du Code des marchés publics. Elle résulte au demeurant des mêmes directives communautaires (CE/2004/17 et CE/2004/18).

Néanmoins, cette réglementation n’est pas totalement identique : les dispositions combinées de l’Ordonnance de 2005 et de ses décrets d’application ne sont pas toutes similaires à celles du Code des marchés publics.

En outre l’appréhension de cette réglementation peut différer dès lors qu’elle est appliquée par le juge judiciaire. Ce dernier s’appuie sur des principes et des règles contractuelles qui ne sont pas les mêmes que celles appliquées par le juge administratif.

Il demeure cependant que les règles fixées par l’Ordonnance de 2005 s’imposent aux acheteurs privés (relevant de la « sphère publique » en leur qualité d’« organisme de droit privé »), comme au juge judiciaire.

Ils doivent donc en tirer toutes les conséquences, qui peuvent, parfois, se révéler importantes, ainsi que le révèle une récente décision de la Cour d’appel de Paris du 22 février 2013 (Fondation de l’Hôpital Saint Joseph c/ SAS RLD2, RG n° 11/11000).

2. Pour simplifier les faits, l’Hôpital Saint Joseph, organisme de droit privé soumis à l’Ordonnance de 2005, avait conclu successivement deux contrats, en 2004 et en 2005, avec la société RLD2 portant sur la location-entretien d’articles de textile et sur la location d’assainisseurs d’air. 

Ces deux contrats avaient été conclus pour des durées de 3 années renouvelables par tacite reconduction.

Au cours de l’année 2008, l’Hôpital Saint Joseph a informé la société RLD2 de la fermeture de son site hospitalier et, par voie de conséquence, de la cessation des contrats en cours au 31 janvier 2009.

La société RLD2 a, en conséquence, demandé à l’Hôpital Saint Joseph le paiement de ses indemnités de résiliation des contrats ainsi que le rachat du stock (ce qui était prévu par les stipulations contractuelles) pour un montant de l’ordre de 600.000 €.

3. Saisi par la société RLD2, le tribunal de grande instance de Paris a, dans un premier temps, prononcé la nullité des deux contrats précités au regard de l’Ordonnance de 2005. 

Rappelons d’abord que la nullité d’un contrat implique, en droit, qu’il est censé n’avoir jamais existé. Les personnes en litige ne peuvent donc plus invoquer aucun contrat entre-elles, ni s’appuyer dessus pour régler leurs différends.

Relevons ensuite qu’en l’espèce, le tribunal de grande instance, confirmé sur ce point par la Cour d’appel, a constaté que les deux contrats litigieux conclus en 2004 et 2005 pour une durée de 3 ans étaient donc arrivés à leur terme respectivement en 2007 et 2008, sans que les « parties » puissent invoquer leur renouvellement tacite.

En effet, le juge judiciaire, rappelle que l’Ordonnance de 2005 oblige à recourir à l’appel d’offres : il considère que les contrats ne pouvaient donc pas être renouvelés tacitement.

Par conséquent, il considère que les contrats conclus en 2004 et 2005 ne peuvent valablement être pris en compte que pour leur durée de 3 années. Les contrats tacitement renouvelés en 2007 et 2008 (donc sans appel d’offres) sont considérés et déclarés nuls .

4. Les juges ont, ensuite, tiré les conséquences de ces constatations juridiques pour trancher le litige engagé par la société RLD2 qui demandait une indemnisation pour environ 600.000 €.

Cependant, la solution retenue par le juge d’appel est très nettement différente de celle qui avait été retenue par le juge de 1ère instance.

Le tribunal de grande instance avait en effet condamné l’Hôpital Saint Joseph à payer à la société RLD2 300.000 € à titre de dommages-intérêts d’une part en application de la clause résolutoire prévue au contrat et d’autre part pour rupture abusive du contrat.

La Cour d’appel modifie substantiellement la décision du tribunal de grande instance sur ce point.

Elle considère d’abord que les contrats étant nuls, il ne peut être fait application ni de la clause résolutoire ni d’une quelconque rupture abusive pour trancher le litige entre l’Hôpital Saint Joseph et la société RLD2.

Elle relève ensuite que l’absence d’appel d’offres et la reconduite tacite (et illégale) des contrats a permis à la société RLD2 de bénéficier d’une prolongation des contrats initiaux (l’Hôpital Saint Joseph s’étant apparemment acquittée des paiements correspondants jusqu’à la fermeture du site au 31 janvier 2009).

La Cour souligne également que rien ne permet de considérer que, si l’appel d’offres avait été mis en oeuvre, la société RLD2 aurait remporté le contrat et l’aurait eu aux mêmes conditions que les contrats initiaux.

La Cour en déduit que la société RLD2 ne peut se prévaloir d’aucun préjudice qui justifierait une quelconque réparation : elle rejette donc l’ensemble des prétentions indemnitaires de la société RLD2.

In fine, la Cour relève que seules les conditions applicables à l’expiration normale des contrats (c’est à dire hors renouvellement tacite) doivent s’appliquer pour trancher le litige.

Sur ce point, la Cour constate que l’Hôpital Saint Joseph avait une obligation contractuelle de rachat des stocks, correspondant à une somme de 30.000 € (très éloignée des 600.000 € demandés et des 300.000 € initialement accordés par le tribunal de grande instance).

5. Bien qu’elle se borne à appliquer l’Ordonnance de 2005, cette décision est très importante. 

Cette décision confirme le caractère obligatoire de l’Ordonnance de 2005 et en indique les conséquences :

  • un contrat conclu sans avoir respecté l’Ordonnance est nul,
  • un contrat nul ne fait naître aucune droit ni aucune obligation entre ses « parties ».

 

Les opérateurs économiques et fournisseurs aux organismes de droit privé soumis à l’Ordonnance de 2005 doivent donc être particulièrement vigilants et soucieux de leur situation juridique.

En effet, cette décision montre que les opérateurs économiques et fournisseurs aux acheteurs privés relevant de la sphère publique ne peuvent plus continuer à poursuivre leurs relations avec leurs clients s’en s’assurer que l’Ordonnance de 2005 est respectée.

Les opérateurs économiques et fournisseurs doivent donc impérativement sécuriser leur situation juridique avec leurs clients organismes de droit privé : à défaut, ils se trouvent dans une situation précaire, sans pouvoir prétendre à une protection contractuelle qu’ils ne pourront pas invoquer et avec des conséquences qui peuvent se révéler assez lourdes.

Alexandre Le Mière
Avocat associé

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