Rémunération et risque : les ingrédients de la distinction entre marché public et délégation de service public
En matière de commande publique, les pouvoirs adjudicateurs ont principalement le choix entre deux modes contractuels : le marché public d’une part et la délégation de service public (ou concession) d’autre part.
Le choix entre ces deux modes contractuels n’est en rien anodin : parce qu’il conditionne un régime de passation spécifique et différent, un régime d’exécution plus ou moins distancié et également différent, ainsi qu’un régime économique et financier aussi spécifique et différent.
Cependant, et alors même que la question de la qualification du contrat est cruciale tant au plan de l’orientation que le pouvoir adjudicateur veut insuffler à ses projets qu’au plan de la sécurité et de la sécurisation juridique des projets pour les opérateurs économiques (mais aussi pour les pouvoirs adjudicateurs ensuite – qui risquent d’en supporter les conséquences si les opérateurs se retournent contre eux), distinguer le marché public de la délégation de service public est parfois délicat, voire très délicat.
Ce sujet, actuellement très prégnant dans le domaine des services aux personnes publiques, est ainsi régulièrement animé et nourrie par les juges nationaux (CE, 19/11, 2010, Melle A – Société Beauvais Sports & spectacles, req. n° 320169) et communautaires (CJCE, 10/09/2009, Eurawasser, aff. n° C-206/08).
La Cour de justice de l’Union Européenne vient tout juste de contribuer au sujet en se prononçant précisément sur la distinction entre marché public de services et concession de services dans l’arrêt du 10 mars 2011, Stadler c/ Groupement communal de Passau(aff. C-274-09).
L’intérêt principal de cet arrêt, qui se place dans la ligne de la décision Eurawasser précitée, consiste dans l’approche in concreto de la situation et des paramètres contractuels pour déterminer la qualification du contrat (dans un contexte contentieux intéressant en ce sens que le requérant initial cherchait à faire qualifier le contrat en marché tandis que le pouvoir adjudicateur estimait qu’il était en concession).
Il convient au préalable de souligner que la Cour commence par rappeler que le premier critère (« un des éléments déterminants » – pt. 26) de distinction entre le marché et la concession reste la contrepartie : si elle est un prix payé directement par le pouvoir adjudicateur, le contrat est un marché ; si elle réside dans le droit d’exploiter le service ou l’ouvrage, le contrat est une délégation de service public (pt. 24).
Vient ensuite le critère du risque, qui est le plus délicat à appréhender. Il reste que ce critère semble bien « secondaire » (mais aussi déterminant) en ce qu’il est impliqué par le mode de rémunération (« vérifier si le mode de rémunération convenu tient dans le droit du prestataire d’exploiter un service et implique que celui-ci prenne en charge le risque lié à l’exploitation de ce service en question », pt. 29).
C’est au regard de ces deux « éléments déterminants » que la Cour livre les paramètres d’une analyse concrète de la situation et du contrat (charge intégrale de l’exécution technique, administrative et financière [pt. 30] ; origine de la rémunération et proportion en provenance des tiers [pt. 33] ; réglementation publique applicable au secteur d’activité [pt. 35] ; risques d’exploitation économique [pt. 37]).
Elle les explicite « dans l’affaire » en tenant compte de la prévisibilité des risques [pt. 39], qui en l’espèce n’écarte pas le risque que la rémunération tirée de l’exploitation ne couvre pas l’ensemble des dépenses d’exploitation [pt. 40], de l’absence de formule contractuelle de compensation [pt. 42], des risques de défaillance des usagers [pt. 46] et de la situation concurrentielle [pt. 47].
La Cour apporte ainsi une contribution importante à la question de la qualification juridique des contrats de marché public et de délégation de service public dont la complexité semble ainsi pouvoir être abordée et « surmontée » par un travail d’analyse précis de la situation et des stipulations contractuelles.
Etant rappelé que cette difficulté de qualification ne se rencontre que dans certains cas et qu’elle n’est, au demeurant, parfois que la conséquence de l’imprécision du choix contractuel opéré par les élus des collectivités publiques qui soit son hésitant soit ne savent pas toujours bien définir leur besoin (ou leur intention) contractuel entre marché public et délégation.
Alexandre Le Mière
Avocat associé