Référé suspension et agent public : l’absence de ressources est une cause d’urgence
Par un arrêt du 28 janvier 2011 (M. Frédéric A., req. n° 342388 [source Conseil d’Etat]), le Conseil d’Etat vient de juger que le juge des référés commet une erreur de droit lorsqu’il rejette une demande de suspension d’une décision administrative formulée par un agent public à l’encontre d’une décision ayant pour effet de le priver de son traitement.
Rappelons qu’aux termes de l’article L.521-1 CJA, le juge administratif des référés peut être saisi d’une demande de suspension de l’exécution d’une décision administrative ou de certains de ses effets (à la condition d’avoir parallèlement saisi le juge au fond d’un recours en annulation).
Pour accéder à cette demande, le juge doit s’assurer d’une part qu’il y a urgence et d’autre part qu’il y a des raisons de penser que la décision attaquée pourra être annulée (il faut, textuellement qu’il soit « fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » – art. L.5121-1 CJA).
S’agissant des mesures prises à l’encontre des agents publics, il est fréquent (comme cela semble au demeurant avoir été le cas dans cette affaire) qu’un débat s’instaure au titre de l’urgence devant le juge des référés de première instance concernant les moyens de subsistance dont ils disposeraient : dans ces cas là, il revient alors parfois aux agents concernés de soutenir et de « démontrer » ce qu’ils n’ont pas, c’est-à-dire de justifier qu’ils n’ont pas de moyen de subsistance dès lors qu’ils sont privés de leur traitement.
Par sa récente décision, le Conseil d’Etat vient clarifier cet écueil, de façon précise et sans manichéisme, en indiquant dans un premier temps « qu‘en se fondant, pour apprécier si la décision litigieuse préjudiciait de manière suffisamment grave et immédiate à la situation du requérant, sur ce qu’il ne produisait aucun élément ni document relatif aux revenus dont il disposait réellement, alors qu’un agent public ayant été placé d’office dans une position statutaire qui le prive de son traitement n’est pas tenu de fournir de telles précisions à l’appui de sa demande de suspension de l’exécution de cette mesure, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a commis une erreur de droit ».
Puis, dans un second temps, réglant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat relève, qu’en l’espèce, d’une part le requérant se trouve dans une situation financière précaire, faisant état de nombreuses dettes et, d’autre part, si la collectivité allègue que l’agent disposerait de ressources suffisantes, cela ne résulte pas des éléments du dossier.
L’on relève également à l’occasion de cette décision l’appréciation précise de l’urgence faite par le Conseil d’Etat qui relève que le juge des référés ne pouvait tenir compte de la circonstance (juridique) que le requérant n’avait pas attaqué, auparavant, une précédente décision qui l’avait déjà privé de son traitement ; en revanche, le juge des référés devait tenir compte de la circonstance (factuelle) que l’agent était privé de traitement depuis plusieurs années.
Alexandre Le Mière
Associé