Les libraires en ligne peuvent offrir les frais de port à leurs clients
Voici une décision intéressante de la Cour de cassation, qui vient légitimer une pratique devenue fort courante chez les cybermarchands culturels qui proposent à la vente, outre les habituels CD et DVD, de bons vieux livres.
Afin de ne pas pénaliser les internautes par rapport aux consommateurs qui achètent leurs ouvrages dans les librairies classiques, ces professionnels offrent généralement les frais d’expédition des commandes, de sorte que leurs clients ne paient que le prix du livre, qui leur est livré gratuitement.
Le Syndicat de la Librairie Française s’est ému de cette situation, en y voyant une infraction à la loi du 10 août 1981 relative au prix unique du livre (la fameuse Loi Lang). En effet, selon lui, la gratuité des frais de port constituerait une vente avec prime prohibée par cette Loi.
C’est d’ailleurs la solution qui a été retenue dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris le 23 mai 2007 dans une espèce concernant le site Internet « Alapage », exploité par la société France Télécom E-Commerce. Selon cette décision, qui avait fait droit aux demandes du Syndicat de la Librairie Française, le fait pour un vendeur d’annoncer au client qu’il assumera seul le paiement de la livraison caractérisait une prime au sens des articles 6 de la Loi Lang et de l’article L. 212-35 du Code de la consommation (relatif aux ventes à primes).
La société France Télécom E-Commerce avait formé un pourvoi en cassation. Grand bien lui en a pris puisque la Chambre commerciale de la Cour de cassation a, par un arrêt du 6 mai 2008, censuré l’arrêt de la Cour d’appel sur ce point. La Cour a considéré en effet que « la prise en charge par le vendeur du coût afférent à l’exécution de son obligation de délivrance du produit vendu ne constitue pas une prime au sens des dispositions du Code de la consommation ».
La solution est donc claire : lorsqu’un consommateur acquiert un bien sur Internet, le coût de l’obligation de délivrance du vendeur ne fait pas partie du prix du bien acquis, en l’occurrence du prix du livre. Il s’agit du prix d’une prestation accessoire au contrat de vente (puisque la vente est réalisée par le seul accord sur la chose et sur le prix). Il est donc logique que le vendeur puisse assumer seul cette obligation et, dans ce cas, la gratuité de l’expédition reste indépendante du prix du livre en tant que tel.
Cette solution ravira donc tous les libraires en ligne, ainsi que leurs clients.
On notera qu’en revanche cet arrêt approuve la Cour d’appel de Paris d’avoir considéré que le fait pour la société France Télécom E-Commerce de permettre à ses clients d’acheter des livres avec des bons d’achat de 15 euros offerts par la société Wanadoo Interactive portait atteinte aux dispositions de la Loi Lang.
En effet, selon la Cour, cette promotion permettait aux clients du site « Alapage.com » d’acheter des livres en bénéficiant d’une remise supérieure à celle de 5% autorisée par la loi, de sorte qu’il s’agissait d’une réduction contraire aux dispositions légales impératives sur le prix unique du livre.
Matthieu Berguig
Avocat à la Cour