Le bénéficiaire d’un permis de construire qui ne conteste pas la décision de retrait dans le délai de recours contentieux peut être considéré comme ayant définitivement renoncé à son projet (Arrêt de la CAA de Bordeaux du 16 mai 2013, Société Total Caraïbes, req. n°11BX01823)

Le bénéficiaire d’un permis de construire qui ne conteste pas la décision de retrait dans le délai de recours contentieux peut être considéré comme ayant définitivement renoncé à son projet (Arrêt de la CAA de Bordeaux du 16 mai 2013, Société Total Caraïbes, req. n°11BX01823 )

 

1- Par un arrêt du 16 mai 2013, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a jugé que le bénéficiaire d’un permis de construire qui ne conteste pas la décision de retrait de son permis renonce définitivement à son projet.  

 Une société ayant obtenu un permis de construire qu’elle exécute depuis 1 an et demi se voit retirer son autorisation pour des motifs manifestement illégaux (en l’absence de tout motif de fraude qui aurait seul pu justifier un retrait au-delà du délai légal de 3 mois).

 La société, contrainte d’arrêter les travaux, décide de rechercher une solution négociée avec la Commune qui accepte de mettre à disposition un autre terrain pour réaliser les travaux (réalisation d’une station-service).

 La société poursuit les négociations avec la Commune sans préserver ses droits de recours ; elle ne sollicite donc ni la suspension de la décision de retrait, ni son annulation au fond.

 Cette imprudence est clairement sanctionnée par la Cour administrative d’appel de Bordeaux qui relève « qu’en s’abstenant ainsi de mettre en œuvre les recours effectifs dont elle disposait pour solliciter la suspension et l’annulation du retrait de permis de construire, lesquels lui auraient permis d’obtenir satisfaction au regard du motif d’illégalité précédemment rappelé, et en préférant la stratégie consistant à s’engager dans la négociation d’un échange de parcelles avec la commune ou d’une transaction ».

 Il est en effet toujours recommandé aux justiciables d’exercer les voies de recours contentieux dans les délais qui leurs sont impartis (en l’espèce, 2 mois) tout en poursuivant la négociation (le déclenchement du recours pouvant lui-même avoir un effet positif sur la négociation en cours).

 Dans l’hypothèse où le justiciable obtient satisfaction dans le cadre transactionnel, il lui est toujours loisible de se désister de l’instance en cours. A l’inverse, si la négociation échoue, la saisine de la juridiction administrative dans le délai de recours contentieux préserve son droit de recours et lui offre une seconde chance d’obtenir satisfaction par la voie judiciaire.

 Le choix de ne pas contester la décision de retrait au détriment d’une poursuite amiable des négociations – étant sous-entendu que les deux démarches auraient pu être menées en même temps – conduit ainsi la Cour administrative d’appel de Bordeaux à considérer que la société avait abandonné son projet de construction.

 De ce raisonnement, la Cour administrative d’appel en conclut que la société ne peut se prévaloir d’aucun lien de causalité direct entre le préjudice qu’elle invoque et la faute de la Commune.

 Il s’ensuit que la Cour administrative d’appel reconnait bien l’illégalité fautive de la décision de retrait ainsi que l’existence d’un préjudice pour le bénéficiaire mais refuse de reconnaître de lien de causalité direct en l’absence de toute contestation préalable de la légalité décision litigieuse.

 Une interprétation a contrario revient donc à considérer que si le bénéficiaire avait attaqué le retrait dans le délai de deux mois, le lien de causalité entre la faute et le préjudice aurait été reconnu par la Cour administrative d’appel et qu’une réparation indemnitaire aurait été allouée à la société bénéficiaire (sous réserve de justifier de la matérialité de son préjudice).

2- Cet arrêt appelle plusieurs observations.

  2.1-    En premier lieu, la Cour administrative d’appel conditionne les chances de succès d’une action indemnitaire à la contestation préalable de la légalité de la décision administrative à l’origine du dommage.

 Faute d’avoir contesté la légalité du retrait, la Cour administrative d’appel de Bordeaux en déduit incidemment que malgré l’existence d’une faute et d’un préjudice, le lien de causalité ne serait pas suffisamment direct, faisant ainsi tomber le recours indemnitaire.

 Ainsi, à défaut de contester en amont la décision litigieuse à l’origine de la faute, le recours indemnitaire n’aurait donc aucune chance d’aboutir.

  2.2-    En deuxième lieu, cet arrêt présente une portée de pure procédure et un éclairage sur la stratégie à mener dans un contentieux sur le long terme.

 Le fait de ne pas contester la légalité d’un acte administratif impliquerait ici un abandon du projet, soit plus largement – si l’on extrapole la portée de cet arrêt – un abandon du bénéfice de l’autorisation administrative dont est titulaire le justiciable.

 L’abandon des « prétentions » du titulaire d’une autorisation administrative pourrait se déduire du non exercice des voies de recours et aurait ainsi des répercussions stratégiques et contentieuses à long terme.

 En effet, ne pas contester la décision administrative illégale dans le délai du recours contentieux reviendrait à renoncer définitivement à toute autre voie de recours (devant les juridictions administratives) qui porterait sur ce à quoi il a été renoncé.

 En vertu de cet arrêt, la première étape d’un contentieux implique désormais la contestation systématique de toute décision défavorable pour toute personne titulaire d’une autorisation administrative ou d’un quelconque droit, y compris si la stratégie juridique ne l’impose pas immédiatement ou encore si la stratégie juridique est encore méconnue.

 A l’inverse, cette décision offre un argument « politique » (supplémentaire) à la décision d’engager de recours contentieux parallèlement à des discussions avec l’autorité publique.

 En effet, à l’argument de l’expiration du délai de recours s’ajoute désormais un argument plus économique et financier puisque, selon cette décision, aucun recours indemnitaire ne serait plus possible en l’absence de contentieux contre la décision de retrait.

Ombeline Soulier-Dugénie
Avocat à la Cour

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