Par une décision n°18-D-23 du 24 octobre 2018, l’Autorité de la Concurrence (ADLC) devait se prononcer sur les clauses mises en œuvre par les entreprises Andreas Stihl SAS et Stihl Holding AG & Co KG dans le cadre de leur réseau de distribution sélective de matériel de motoculture (tronçonneuses, débroussailleuses, élagueuses, sécateurs à batterie), sur les clauses interdisant aux distributeurs agréés de revendre lesdits produits sur leur site internet et sur des plateformes en ligne tierces.
Dans la droite ligne des affaires Pierre Fabre, Coty, Banh & Olufsen, l’ADLC estime que les clauses qui requiert une « mise en main » entre l’acheteur en ligne et le distributeur impliquait un retrait du produit dans le magasin du revendeur, la vente sur Internet était interdite.
Plus précisément la clause stipulait que « le Partenaire Commercial s’engage à respecter son obligation de conseil en cas de vente par le biais de son site Internet. Le Partenaire Commercial s’interdit toute vente de matériel STIHL et VIKING (à l’exception des vêtements Timbersports) sans une mise en main complète de la machine, avec montage complet du matériel, explications de fonctionnement et précautions à prendre pour un usage dans des conditions de sécurité optimales ». D’autres clauses prévoyaient que le distributeur « s’interdira toutes ventes de produits Stihl et Viking par le biais de son site Internet sans assurer l’assistance à la prise en main ». L’annexe dédiée à la distribution sur Internet précisait que « les produits Stihl et Viking non mentionnés dans l’annexe A sont exclus de la vente à distance ».
Puis, concernant les plateformes tierces, le distributeur se devait de communiquer au fournisseur le domaine de premier niveau de la page Internet sur laquelle il envisage de distribuer les produits et attendre l’autorisation du fournisseur pour commencer la commercialisation, puis s’engageait « à ne proposer, ni directement ni indirectement (par exemple au moyen de liens hypertextes) de produits Stihl et Viking à la vente via des URL (adresses web ou Internet) de plateformes d’enchères et de vente ou des places de marché en ligne, telles qu’eBay ou Amazon ».
L’ADLC sanctionne donc la clause interdisant les ventes du distributeur sur son propre site internet.
Pour l’interdiction de vente sur les plateformes en ligne tierces, l’Autorité écarte tout grief.
Une amende de 7 000 000 d’euros a été infligée à Stihl.
L’ADLC a relevé que les produits concernés relevait bien de la catégorie requise pour la mise en place d’un réseau de distribution sélective : haute qualité et technicité. En l’espèce ils présentaient « une certaine technicité », postulant « l’existence de services d’assistance et de conseil afin d’en préserver la qualité et d’en assurer le bon usage ».
L’ADLC rappelle ensuite les Lignes directrices relatives au règlement n° 330/2010 (point 52), l’arrêt Pierre Fabre, l’arrêt Coty Germany.
L’arrêt Coty Germany GmbH visait l’interdiction de vente sur les plateformes tierces et la validait au regard du droit de la concurrence en ce qu’elle « [visait], à titre principal, à préserver l’image de luxe de ces produits de recourir de manière visible à des plateformes tierces pour la vente sur Internet des produits contractuels, dès lors que cette clause vise à préserver l’image de luxe desdits produits, qu’elle est fixée d’une manière uniforme et appliquée d’une façon non discriminatoire, et qu’elle est proportionnée au regard de l’objectif poursuivi ».
Deux interprétations coexistaient : l’arrêt Coty consacre une exception pour les seuls produits de luxe ou le critère du luxe était un élément validant de la pratique, mais d’autres pouvaient exister.
C’est l’intérêt de la décision Stihl qui précise que « l’analyse opérée par la Cour de justice dans l’arrêt Coty susvisé pour la commercialisation en ligne de produits de luxe paraît susceptible d’être étendue à d’autres types de produits. »
La raison en est simple : en l’absence de lien contractuel avec les plateformes tierces le promoteur du réseau ne peut s’assurer que les critères de qualité exigés seront respectés. « La commercialisation par le biais des plateformes pourrait rendre inefficaces, voire empêcher ces contrôles. En effet, si le fournisseur ignore que son distributeur commercialise ses produits sur une plateforme, il est nécessairement dans l’incapacité de contrôler les conditions de vente que cette dernière pratique. Par ailleurs, quand bien même le fournisseur aurait connaissance du fait qu’un de ses distributeurs passe par une plateforme pour commercialiser ses produits, il serait dans l’incapacité d’exiger qu’elle respecte les obligations imposées aux distributeurs agréés membres du réseau. En effet, comme l’a souligné la Cour de justice, le fournisseur, n’étant contractuellement lié qu’au distributeur, ne peut exiger des plateformes, tierces au contrat de distribution sélective, d’en respecter les dispositions. ».
Frédéric Fournier
Avocat Associé