En droit de la concurrence, la saisine d’une juridiction non spécialisée est sanctionnée par une fin de non-recevoir et non par une exception d’incompétence
Qu’il s’agisse de litiges portant sur le droit des pratiques anticoncurrentielles (art. L. 420-1 et s. C.com.) ou sur le droit des pratiques restrictives de concurrence (art. L. 442-6 C.com.), les juridictions compétentes pour en connaître sont limitées à huit tribunaux de commerce (Marseille, Bordeaux, Lille, Fort-de-France, Lyon, Nancy, Paris et Rennes) et huit tribunaux de grande instance (mêmes sièges), avec comme juridiction de second degré la Cour d’appel de Paris.
Au stade de l’appel, il est acquis depuis plusieurs années que la saisine d’une cour d’appel autre que la Cour d’appel de Paris pour statuer sur des recours formés contre les décisions rendues par les tribunaux spécialement désignés est sanctionnée par une fin de non-recevoir, s’agissant d’un défaut de pouvoir juridictionnel et non d’un défaut de compétence (cf. notamment : Cass. com., 31 mars 2015, n° 14-10.016).
Au stade de la première instance, la question n’a été tranchée que par des arrêts de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 29 mars 2017 (Cass. com. 29 mars 2017, pourvois n° 15-17659 et n° 15-24241), aux termes desquels il a été considéré que les cours d’appel saisies d’une décision rendue sur le fondement de l’article L. 442-6 du Code de commerce par une juridiction de première instance non spécialisée « devront relever, d’office, l’excès de pouvoir commis par ces juridictions en statuant sur des demandes qui, en ce qu’elles ne relevaient pas de leur pouvoir juridictionnel, étaient irrecevables ».
Cette solution a été très récemment :
- Appliquée dans un arrêt rendu le 7 novembre 2017 par la Cour d’appel de Versailles concernant un litige relatif à l’application l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce sur la rupture brutale de relation commerciale établie : « la cour de céans qui (…) est saisie d’un recours contre une décision émanant d’une juridiction non spécialisée, peut et doit, déclarer irrecevables les demandes formées par la société [demanderesse] » (CA Versailles, 7 nov. 2017, RG n°16/05118).
- Confirmée dans un arrêt rendu le 18 octobre 2017 par la chambre commerciale de la Cour de cassation concernant un litige impliquant notamment l’application de l’article L. 420-1 du Code de commerce sur les ententes illicites : « saisie (…) de l’appel d’un jugement rendu par le tribunal de commerce de Versailles, juridiction non spécialisée située dans le ressort de la cour d’appel de Versailles, il lui appartenait de déclarer l’appel formé devant cette juridiction recevable et d’examiner la recevabilité des demandes formées devant ce tribunal puis, le cas échéant, de statuer dans les limites de son propre pouvoir juridictionnel » (Cass.com., 18 oct. 2017, n°15-26.363).
La qualification de fin de non-recevoir n’est pas neutre. En particulier, à la différence d’une exception d’incompétence, le juge saisi qui accueille une fin de non-recevoir en raison de son défaut de pouvoir juridictionnel ne peut faire application des articles 96 et 97 du Code de procédure civile pour renvoyer l’affaire devant le tribunal ayant le pouvoir d’en connaître (Cass. soc., 21 oct. 1982 : RTD civ. 1983, p. 783). De surcroît, la demande rejetée par une fin de non-recevoir n’a pas pour effet d’interrompre la prescription (Cass. com., 26 janv. 2016, n°14-17.952). De sorte que le demandeur doit réassigner devant la juridiction de première instance spécialisée avec le risque que son action soit prescrite…
Régis Pihéry
Avocat Associé