Déséquilibre significatif : la franchise dans une zone de turbulence

Alors qu’avait été rejetée la demande d’un franchisé fondée sur le déséquilibre significatif contre un franchiseur qui lui avait imposé d’importants travaux de mise aux normes du concept dans son magasin sous peine de résiliation, alors même que le franchiseur ne s’imposait pas les mêmes normes pour ses succursales. La Cour d’appel de Paris avait retenu que le contrat de franchise contenait une clause imposant au franchisé des aménagements spécifiques de son point de vente et que cette obligation était inhérente au contrat et justifiée à la fois par l’obligation du franchiseur d’assurer l’uniformité, l’identité du réseau et son développement. Enfin, cette obligation trouvait sa contrepartie dans la transmission du savoir-faire au franchiseur (CA Paris, 22 nov. 2017, n°15/01067).

Aussi un franchisé dénonçait l’obligation pesant sur elle de mettre son fichier client à disposition du franchiseur au motif de détournement de clientèle incitée à commander les produits de marque Carré Blanc directement sur le site marchand du franchiseur, d’un avantage dépourvu de toute contrepartie et d’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. La Cour avait constaté que « ce site marchand a pour vocation de présenter les collections Carré Blanc et ainsi de constituer un outil d’aide au choix du consommateur. Le Franchisé aura la possibilité d’adhérer et de participer au fonctionnement de ce site marchand, dont les modalités pratiques lui seront communiquées au préalable.  (…) le franchisé s’engage en tout état de cause, à mettre à disposition du franchiseur, l’intégralité de sa base de données clients à des fins marketing. Cependant, la base de données reste attachée au fonds de commerce du franchisé. Dans ces conditions, le franchiseur s’engage à ne pas diffuser la base de données du franchisé à un autre franchisé, ni à l’utiliser pour son seul compte autrement que pour le site ». La Cour relevait qu’il existait bien des contreparties réelles et sérieuses à la mise à disposition temporaire, par le franchisé, de sa base de données clients. Celles-ci résident dans l’exploitation des coordonnées des clients, soit à des fins de fidélisation de ces derniers, soit à des fins marketing, pour accroître le volume de vente des membres du réseau (CA Paris, 22 mai 2019, Pôle 5, Ch. 4 n°17-05279).

Dans une période proche, la DGCCRF relevait que les clauses suivantes sont susceptibles de provoquer un déséquilibre significatif dans le secteur de la restauration rapide (Avis du 8 mars

2016) :

  • Un désavantage pour le franchisé a été observé dans les contrats contenant des clauses prévoyant que le seul contrat rédigé en langue anglaise fera foi, que le franchiseur pourra le modifier unilatéralement, ou encore qu’il pourra seul le résilier de manière anticipée, etc.
  • D’autres clauses stipulent que le franchisé perd son droit d’entrée – versé préalablement – en cas d’échec à l’examen durant la formation, qu’il ouvre au franchiseur un accès illimité et sans réserve à ses données informatiques, qu’il doit s’acquitter de pénalités disproportionnées s’il ne respecte pas ses obligations, etc.
  • Certains franchiseurs imposent à leurs franchisés des clauses de non-concurrence tout en favorisant l’implantation de nouveaux franchisés sur le même territoire. Dans la gestion de leur fonds de commerce notamment, certaines clauses sont enfin de nature à constituer une atteinte injustifiée au droit de propriété.

Puis, advient un revirement brutal : un jugement du Tribunal de commerce de Paris du 13 octobre 2020 (Subway) prononce une amende civile de 500 000 euros au groupe, représentant 3,5 % de son chiffre d’affaires en France.

En préambule de son jugement, le juge énonce les principes qui guideront son analyse : il s’attachera à la clause et rien que la clause, sans égard pour ses effets concrets.

  • Les clauses validées
    • clause permettant au franchiseur de conserver le bénéfice du droit d’entrée même si le processus contractuel n’était pas mené à terme (en cas d’échec de la formation du franchisé, harcèlement sexuel, agressions, vandalisme, vols, abus d’alcool…).
    • clause prévoyant un prélèvement hebdomadaire des redevances et des pénalités de retard.
    • clause du préambule prévoyant que le franchiseur n’engage pas sa responsabilité en cas d’échec commercial du franchisé.
    • clause en vertu de laquelle le contrat peut être résilié sous préavis de 10 jours n’apparaît pas déséquilibrée, dès lors qu’elle sanctionne des fautes graves de nature pénale.
  • Les clauses déséquilibrées :
    • ouverture 7/7 jours, pour une durée minimale de 98 heures par semaine : elle n’est pas indispensable à la cohérence et à l’homogénéité du réseau.
    • Souscription d’une assurance de responsabilité civile et le remboursement au franchiseur des frais engagés pour en assurer l’exécution en cas de manquement du franchisé, car absence de plafond au montant des frais mis à la charge du franchisé.
    • droit du franchiseur de concurrencer le franchisé, tout lui en imposant une obligation de non-concurrence.
    • durée du contrat de franchise à 20 ans, en présence d’un approvisionnement exclusif.
    • résiliation pour « insolvabilité » du franchisé, sans définir l’insolvabilité.
    • obligation du franchisé résilié de déposer les signes de ralliement du réseau dans un délai « raisonnable », sans définir « raisonnable ».
    • combinaison des clauses imposant la langue anglaise pour la rédaction du contrat, l’application de la loi néerlandaise et la compétence d’un arbitre new-yorkais en cas de litige.

La Cour d’appel de Paris se prononce alors récemment sur la franchise et le déséquilibre significatif en matière de franchise de pizzeria (CA Paris, Pôle 5, 4ème Chambre, 5 janvier 2022, n° 20/00737 – Min. Eco. c/ Fra-Ma-Pizz (Domino’s Pizza)).

Sur l’existence d’une soumission ou tentative de soumission, la Cour relève que « le franchiseur occupe dans son réseau une place prépondérante dans la mesure où il en détermine unilatéralement les conditions d’accès ainsi que le mode de fonctionnement et les restrictions post-contractuelles qu’il retranscrit dans les clauses du contrat qu’il propose au franchisé. En outre, [le franchiseur] ouvre le plus souvent à des commerçants dépourvus de l’expérience nécessaire l’accès à des méthodes qu’ils n’auraient pu acquérir qu’après de longs efforts de recherche » et que « [Le franchiseur] jouissaient ainsi d’une notoriété particulière et profitaient de cette situation prépondérante de franchiseur pour imposer un contrat type de franchise au nom de l’homogénéité du réseau à des candidats entrepreneurs individuels. (…) les 30 contrats Sprint Pizza versés aux débats sont identiques et n’ont pas été négociés. Non seulement ils n’ont pas été effectivement négociés, mais ceux-ci n’étaient pas non plus négociables du fait de la désinformation des franchisés sur le fonctionnement réel du réseau. »

Sur les clauses d’approvisionnement et de stock minimum, « la Cour relève que la clause d’approvisionnement telle que rédigée ne prévoit pas un approvisionnement exclusif. Il est organisé une sélection de produit par le franchiseur suivant des normes de qualité et de traçabilité définies dans la « bible » que le franchisé s’engage à respecter soit en s’approvisionnant chez « les » fournisseurs référencés par le franchiseur, soit auprès du fournisseur choisi par le franchisé à condition de respecter les critères définis dans la bible, et de communiquer une fiche technique au franchiseur dans la version 1 [du contrat], de demander l’autorisation préalable du franchiseur dans la version 2 après communication de cette fiche. La Cour observe que le processus de la clause d’approvisionnement dans la seconde version du contrat est plus contraignante que dans la première. (…) en pratique, la société Pizza Center France était non seulement le seul fournisseur référencé par le franchiseur mais également que les franchisés devaient s’approvisionner exclusivement ou quasi-exclusivement auprès de ce fournisseur qui était en lien direct avec le franchiseur pour appartenir au même groupe ». Elle souligne qu’« il ressort des déclarations (…) des franchisés entendus dans le cadre de l’enquête (…), que l’exclusivité de l’approvisionnement n’était pas un libre choix de leur part mais le résultat d’une forte pression, voire de menace de résiliation, de la part du franchiseur(…). »

Elle précise que, « comme le relève le ministre, il ressort de ces déclarations que l’approvisionnement théoriquement « libre’ auprès de fournisseurs autres que Logis Pizza, se heurtait en réalité à des critères dissuasifs pour les franchisés, à savoir :

  •  en amont : fiche technique des produits achetés et conditions de vente applicables à transmettre pour validation préalable du franchiseur et quasiment jamais obtenue,
  •  contrôle visuel des animateurs réseau et alerte informatique en cas d’absence de commande par Logis Pizza, « 

(…) Par ailleurs, il ressort des déclarations concordantes des franchisés que la clause de stock minimum les contraignait en pratique à un minimum d’achat auprès de Logis Pizza. »

« La Cour observe que si pour préserver l’unité du réseau et s’assurer du savoir-faire, le franchiseur pouvait sélectionner des produits répondant notamment à des critères de qualité et de  sécurité auprès de divers fournisseurs référencés, en revanche l’impossibilité « de fait » pour les franchisés de s’approvisionner auprès d’autres fournisseurs que la société Pizza Center France, pour les mêmes produits sélectionnés couplée à une obligation de stock minimum des franchisés sur des familles de produits, ne trouve pas de justification dans l’unité du réseau ou le développement du savoir-faire, si ce n’est de permettre essentiellement à la société Pizza Center France, filiale du groupe Pizza Sprint, de bénéficier elle-même de remises commerciales négociées sur la base d’engagements de volumes d’achat et de mise en avant des produits dont les franchisés ne retiraient aucun avantage. »

« Enfin, (…) [les franchisés] étaient soumis par la tête de réseau, d’une part à une très forte incitation à suivre une politique tarifaire unique dans le réseau (…), d’autre part à l’utilisation d’un système informatique ne leur permettant pas aisément d’établir eux-mêmes leurs prix (…). (…) les franchisés étaient soumis à des campagnes promotionnelles décidées unilatéralement par le franchiseur avec des commandes d’éléments marketing imposés aux franchisés et à leurs frais et qui ne leur étaient pas toujours favorables. »

« Autrement dit, les franchisés non seulement ne retiraient pas d’avantage commercial spécifique à s’approvisionner auprès de la société Pizza Center France, mais en outre ils subissaient une réelle contrainte dans leur liberté de gestion commerciale de leur entreprise, dépassant la simple assistance du franchiseur ou la nécessité de préserver l’unité du réseau ou de transmettre le savoir-faire (essentiellement orienté sur les signes distinctifs) et compromettant leur qualité d’entrepreneur indépendant telle que rappelée dans le contrat de franchise (…) ».

« La Cour constate que le franchiseur retirait un avantage excessif des clauses d’approvisionnement et de stock minimum qui n’étaient équilibrées ni par d’autres clauses du contrat ni ne trouvaient dans leur mise en œuvre de justification quant à la préservation de l’homogénéité du réseau ou à la transmission du savoir-faire. Il y a lieu d’en déduire l’existence d’ un déséquilibre significatif entre les droits du franchiseur et les obligations des franchisés résultant de la combinaison de la clause d’approvisionnement et de stock minimum, tant dans leur rédaction que dans les pratiques développées par le franchiseur dans leur mise en œuvre.

Sur La clause d’aménagement initial des points de vente, le Ministre de l’économie faisait valoir que « la clause d’aménagement du point de vente des franchisés, si elle semble laisser la possibilité pour les franchisés de recourir aux services d’un autre architecte que celui agrée par le franchiseur (…), en pratique les conditions et le coût de l’agrément sont tels que les franchisés sont rapidement dissuadés de faire jouer la concurrence ce qui limite fortement leur capacité concurrentielle et qui participe à la fragilité de leur situation économique. (…) l’architecte « agréé » par le franchiseur n’est autre qu’une des sociétés appartenant au franchiseur lui-même qui, de surcroît, surfacture les prestations réalisées pour l’aménagement des nouveaux points de vente (+7%), générant dès lors un surcoût pour les franchisés nouvellement installés. » La Cour rejette la demande car les franchisés « ont pu y trouver un intérêt pratique, une simplicité opérationnelle proposée par le franchiseur. Par ailleurs La pratique de La surfacturation alléguée par le ministre n’est pas suffisamment étayée ».

Sur l’intuitu personae, « la Cour constate que la clause intuitu personae figurant au contrat de franchise Sprint Pizza est rédigée en considération de la personne du franchisé. Elle rappelle l’impossibilité de cession ou transmission du contrat sans l’accord préalable et exprès du franchiseur. Cette clause prévoit également l’obligation du franchisé et le droit du franchiseur suivants:

  • « Le Franchisé s’engage à informer le Franchiseur de tout projet ayant une incidence sur La répartition actuelle de son capital ou de celui de son principal actionnaire, ou dans l’identité de ses dirigeants effectifs au minimum 2 mois avant La réalisation de l’opération projetée. Le Franchiseur aura alors La possibilité de constater La rupture anticipée du présent contrat de ce fait sous La seule réserve de manifester son intention par lettre recommandée avec avis de réception, adressée au minimum un mois avant l’opération projetée. »
  • « Cette clause intuitu personae prévue au bénéfice du franchiseur se justifie effectivement dans son principe par le fait que ce dernier a accepté de confier l’exploitation de son concept à une personne dont il a pu précisément juger les aptitudes, La personnalité, le parcours professionnel et le financement afin de préserver La réputation du réseau et favoriser son développement.
  • Toutefois, la Cour observe en premier lieu que telle que rédigée dans ses derniers alinéas, l’obligation d’information du franchisé porte sur « tout projet’ ayant une ‘incidence » sur la répartition du capital ou dans l’identité de ses dirigeants avec le droit corrélatif pour le franchiseur de La possibilité de constater La rupture anticipée du contrat de franchise et ce sans frais. Comme le relève le ministre, l’emploi du terme ‘incidence’ est imprécis en ce qu’il ne permet pas d’appréhender La nature et le degré de l’effet du projet sur l’actionnariat ou la personne du franchisé susceptible de motiver de La part du franchiseur la résiliation anticipée du contrat de franchise, ce qui est une conséquence grave pour ce dernier.
  • En second lieu, la Cour observe que La clause intuitu personae n’est prévue qu’au seul bénéfice du franchiseur. Or l’économie du contrat de franchise Sprint Pizza, comme de tout contrat de franchise, suppose également une prise en considération du franchiseur par le franchisé, qui a fait le choix de rejoindre le réseau, sur La base d’un certain nombre de critères tels que le concept de franchise, de La notoriété de La marque, de La solidité de La tête de réseau, des perspectives de développement de l’enseigne. »

Dès lors, la clause intuitu personae figurant au contrat de franchise Pizza Sprint, en ce qu’elle permet au franchiseur de décider de la fin anticipée du contrat de franchise sans frais pour tout projet ayant une « incidence » sur la répartition actuelle du capital ou de celui du principal actionnaire, ou dans l’identité des dirigeants du franchisé, et en ce qu’elle ne prévoit pas de réciprocité pour le franchisé, crée un déséquilibre significatif entre les droits du franchiseur et les obligations du franchisé.

Sur les clauses de résiliation et de cessation du contrat de franchise, la clause des contrats qui ne prévoit pas de faculté pour chacune des parties de résilier le contrat en cas de manquement par l’autre partie à l’une de ses obligations contractuelles, mais prévoit une faculté de résiliation au seul bénéfice du franchiseur pour des manquements du franchisé dont certains, induit donc un déséquilibre significatif.

Sur La mise en œuvre du contrôle des points de vente, « s’agissant des contrôles d’hygiène, le ministre (…) ne démontre pas davantage que le prestataire habituel était imposé aux franchisés, en ce que ces derniers auraient essuyé un refus de recourir à un autre prestataire ou auraient été sanctionnés. Il y a lieu de relever qu’en la matière, comme le relève le franchiseur, les points de contrôle sont standardisés. »

« S’agissant des contrôles par le client mystère « par un organisme tiers soumis à l’agrément du franchiseur », le Ministre ne démontre pas davantage que le prestataire habituel était imposé aux franchisés, en ce que ces derniers auraient essuyé un refus de recourir à un autre prestataire ou auraient été sanctionnés. »

« S’agissant du contrôle des animateurs de réseau(…), le principe même de leur intervention n’a pas été contesté par les franchisés et ne peut constituer en soi un déséquilibre significatif dans le cadre de l’obligation d’animation du réseau par le franchiseur. »

Sur La fixation des prix de vente et la maîtrise des actions promotionnelles, en l’absence de preuve de l’existence d’une pratique de prix imposés, le jugement est infirmé en ce qu’il a ordonné au franchiseur de permettre aux franchisés, grâce à un outil informatique adapté, de pratiquer leurs propres prix de vente.

Dernier avatar à ce jour, la Cour d’appel de Paris  (Pôle 05 ch. 04, 26 janvier 2022, n° 19/18768 (Carrefour Voyages)) statue sur deux clauses mises en cause par le franchisé : clause d’« offre de produits Gamme minimum », avec une liste des fournisseurs référencés annexée et des taux de commission pratiqués et clause régissant les « modalités de paiement des factures fournisseurs ». Le franchisé fait grief que les taux de commissions des fournisseurs du franchiseur lui sont imposé que Carrefour Voyages peut régler les factures émises par les fournisseurs, au nom et pour le compte du franchisé, sans pouvoir ni les vérifier ni les contester.

La Cour d’appel en application de l’article L. 442-6 I 2° C. Com. (ancien) répond qu’il ne peut être inféré du seul contenu des clauses, la caractérisation de la soumission ou tentative de soumission à un déséquilibre significatif et que le franchisé n’apporte aucun élément de contexte sur les conditions de sa négociation ni ne justifie avoir tenté de faire supprimer les clauses critiquées. Aucun déséquilibre significatif n’est établi.

Frédéric Fournier
Avocat associé