COVID-19 / CORONAVIRUS – BAUX COMMERCIAUX : Vers une suspension des loyers et charges ? Suite et fin …

Le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19e a été définitivement adoptée ce week-end.

Aux termes de l’article 7, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi et, le cas échéant, à les étendre et à les adapter aux collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution :

  1. 1° Afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l’emploi, en prenant toute mesure :

« g) Permettant de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures, au bénéfice des microentreprises, au sens du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique, dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie. »

Selon l’article 3 dudit décret, la catégorie des microentreprises est constituée des entreprises qui :

  • d’une part occupent moins de 10 personnes ;
  • d’autre part ont un chiffre d’affaires annuel ou un total de bilan n’excédant pas 2 millions d’euros.

La portée de la mesure relative au report ou à l’étalement des loyers et des charges se trouve manifestement réduite par rapport aux annonces du Ministre de l’économie !

Dès lors, quelles solutions peuvent être apportées aux entreprises non-concernées par cette future ordonnance ?

Nous proposons de distinguer les trois situations suivantes : (i) les commerces concernés par l’obligation de fermeture prévue par l’arrêté du 14 mars 2020 complété par les arrêtés des 15 et 16 mars 2020, (ii) les commerces non-concernés par l’obligation de fermeture mais ayant été contraints de fermer en raison de mesures prises par les bailleurs et (iii) les commerces qui ne sont pas concernés par l’obligation de fermeture et qui n’ont pas été contraints de fermer en raison des mesures prises par les bailleurs.

(i) Pour les commerces ayant été obligés de fermer leur local à la suite de l’arrêté du 14 mars 2020 complété par les arrêtés des 15 et 16 mars 2020, cette obligation de fermeture peut s’assimiler à un cas de force majeure pour le bailleur, qui n’est plus en mesure de satisfaire à son obligation de délivrance (art. 1719 du Code civil).

Le preneur pourrait alors invoquer l’exception d’inexécution prévue à l’article 1219 du Code civil et notifier à son bailleur la suspension du règlement des loyers et charges.

(ii) Pour les commerces non-concernés par l’obligation de fermeture prévue par l’arrêté du 14 mars 2020 complété par ceux des 15 et 16 mars 2020 mais dont les bailleurs ont pris des mesures qui les ont contraints à la fermeture de leur établissement, cette fermeture contrainte prise à l’initiative du bailleur pourrait être considérée comme un manquement à son obligation de délivrance.

A titre d’exemple, il s’agirait d’un point de vente alimentaire situé dans un centre commercial qui a fermé totalement ou qui a seulement permis à certains commerces de rester ouverts (hypermarchés, pharmacies).

En conséquence, là encore, le preneur pourrait invoquer l’exception d’inexécution prévue à l’article 1229 du Code civil et notifier à son bailleur la suspension du règlement des loyers et charges.

(iii) Pour les commerces qui ne sont pas concernés par l’obligation de fermeture et qui n’ont pas été contraints de fermer en raison des mesures prises par les bailleurs, les preneurs pourraient invoquer la « force majeure » définie à l’article 1218 du Code civil.

Bien qu’en principe, la Cour de cassation considère que le débiteur d’une obligation contractuelle de verser une somme d’argent ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure (Cass. Com., 16 sept. 2014, n°13-20.306), les juges du fond n’excluent pas toute possibilité d’invoquer un cas de force majeure en cas d’épidémie, à condition que les conditions essentielles soient réunies (évènement hors du contrôle des parties, imprévisible et irrésistible).

Dans le contexte actuel, plusieurs arguments pourraient être mis en exergue par les entreprises pour leurs points de vente relevant de la catégorie des « autres commerces » pour tenter de faire reconnaître la force majeure, bien qu’ils ne soient pas concernés par l’obligation de fermeture prévue par les arrêtés :

  • Les restrictions de circulation et mesures de confinement mises en place pour faire face à la gravité de la situation sanitaire entraineraient une perte de clientèle substantielle pour les commerces ;
  • Les entreprises seraient dans l’impossibilité d’assurer la sécurité et la protection de la santé physique et morale de ses salariés, au sens de l’article L.4121-1 du Code du travail ;
  • Les entreprises rencontreraient des difficultés pour assurer la sécurité des clients et des points de vente ;
  • Certains bailleurs institutionnels ont accepté de suspendre ou de reporter le recouvrement de la mensualité du mois d’avril, peu important que les commerces soient ou non concernés par l’obligation de fermeture de l’arrêté du 14 mars 2020, comme cela avait été recommandé par le CNCC ;
  • La contrainte de la fermeture des points de vente par des services de police au niveau local ;
  • La stigmatisation par les clients du maintien de l’ouverture des points de vente de l’entreprise par l’intermédiaire, notamment, de posts diffusés sur les réseaux sociaux.

Il conviendrait, en outre, que les entreprises puissent apporter la preuve de l’impossibilité de régler l’ensemble de leurs loyers pendant la période de la crise du COVID-19, ou à tout le moins pendant la période de fermeture de ses points de vente, en s’appuyant notamment sur des éléments comptables et financiers.

Force est de relever que les évènements de force majeure liés à la crise sanitaire mondiale du Coronavirus et aux mesures prises par les pouvoirs publics se rejoignent.

S’agissant des baux conclus ou renouvelés depuis le 1er octobre 2016 et si les parties n’y ont pas expressément renoncé dans leur bail, les preneurs peuvent également invoquer auprès de leurs bailleurs la révision pour imprévision du contrat (art. 1195 du Code civil).

Ce mécanisme permet en effet aux parties de tenter la renégociation leur contrat en cours d’exécution lorsqu’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie.

En cas d’échec des négociations, les parties peuvent alternativement (a) décider de résoudre le bail ou (b) demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge pourra, à la demande du preneur subissant le changement de circonstances imprévisible,

Toutefois, dans l’attente de la décision du juge, les parties sont tenues de continuer à exécuter leurs obligations et donc à payer les loyers et charges.

La mise en œuvre du mécanisme de l’imprévision se heurtera à la fermeture des Tribunaux et à l’obligation pour le preneur de continuer à payer les loyers et charges pendant la procédure d’adaptation du contrat devant le juge, en cas d’échec des négociations avec le bailleur.En tout état de cause, compte tenu des incertitudes sur les mesures qui seront effectivement adoptées par le Gouvernement et dans l’intérêt commun des parties dans ce contexte de crise sanitaire inédite, nous pouvons vous accompagner dans la négociation avec vos bailleurs des aménagements contractuels exceptionnels sur le paiement des loyers et des charges pendant la période de confinement et/ou de fermeture administrative (étalement, suspension, franchise de loyer, paiement à terme échu en fonction du chiffre d’affaires effectivement réalisé…).

Julie Janvier
Avocate associée

Régis Pihery
Avocat associé

Marie Hannebicque
Avocate