L’application critiquable du statut de gérant de succursale à un franchisé locataire-gérant

L’application critiquable du statut de gérant de succursale à un franchisé locataire-gérant 

Aux termes de l’article L. 7321-2, le « gérant de succursale » est défini comme « toute personne : […] 2° dont la profession consiste essentiellement […] à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise ». Quatre conditions sont ainsi requises : 1. la fourniture exclusive ou quasi-exclusive par une seule entreprise des marchandises vendues, 2. la fourniture ou l’agrément du local dans lequel les marchandises sont vendues par cette entreprise, 3. une imposition de « conditions » par cette entreprise, et 4. une imposition de prix par cette même entreprise.

Dans un arrêt du 14 février 2018, la Cour d’appel de Bordeaux fait droit à la demande d’un franchisé locataire-gérant tendant à obtenir l’application de ce dispositif dans ses relations avec son franchiseur.

Selon la Cour, les quatre conditions susvisées étaient réunies en l’espèce :

  • Sur la fourniture exclusive ou quasi-exclusive :

Le franchiseur faisait valoir qu’au regard des stipulations contractuelles, le franchisé locataire-gérant avait la possibilité de vendre d’autres produits que ceux achetés auprès de lui, à condition de l’en informer de manière préalable et écrite et d’obtenir son accord exprès, le franchiseur devant déterminer si les caractéristiques et les qualités de ces produits étaient compatibles avec l’image de marque des centres de son réseau.

La Cour rejette ce moyen de défense du franchiseur, estimant que « cette possibilité énoncée, outre la définition de contraintes quelque peu dissuasives, avait un caractère très théorique et d’ailleurs [le franchiseur] ne produit aucun document permettant de vérifier que [le franchisé locataire-gérant] aurait à un moment quelconque, malgré de nombreuses années d’exercice, effectivement mis en vente d’autres produits que ceux fournis par le [franchiseur] ».

  • Sur la fourniture ou l’agrément du local :

La Cour relève que le premier local du franchisé locataire-gérant avait été agréé par le franchiseur et qu’« en toute hypothèse, pour le second [local], c’est le franchiseur qui est titulaire du bail commercial ».

  • Sur l’imposition des « conditions » :

Selon la Cour, le franchisé locataire-gérant « devait notamment, dans les faits, respecter les procédures et prescriptions mises au point par [le franchiseur], concernant principalement la décoration de l’institut, l’éclairage intérieur et extérieur, l’agencement, le mobilier, l’aménagement et l’équipement des cabines de soins, la tenue vestimentaire des esthéticiennes, la présentation des produits, les techniques de vente et de conseil, les méthodes de soins, les campagnes publicitaires, la nature et la qualité des services, les campagnes promotionnelles engagées par la société, diffusées auprès de la clientèle et accompagnées d’éléments de signalisation à placer dans la boutique de sorte qu’il aurait été difficile [au franchisé locataire-gérant] de s’y soustraire ».

  • Sur l’imposition des prix :

La Cour observe que (i) différents supports fournis par le franchiseur (catalogues, mailings envoyés au réseau et à la clientèle, site internet…) faisaient état de prix conseillés, (ii) le franchisé locataire-gérant « aurait difficilement eu la possibilité de les augmenter alors que tous [ces supports] comportaient les prix « conseillés » » et (iii)  s’il restait la possibilité pour le franchisé locataire-gérant de vendre à des prix inférieurs, cela « était également difficilement envisageable compte tenu d’une part des nombreuses campagnes promotionnelles déjà mises en place par la marque et d’autre part des nécessaires répercussions sur la mage dégagée, déjà relativement faible ».

Cette décision encourt plusieurs critiques :

  • En l’absence de clause d’approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif, sauf à inverser la charge de la preuve, le critère de la fourniture « exclusive » ou « quasi-exclusive » ne devrait pouvoir être satisfait que dans la mesure où le franchisé ait dûment démontré des reproches ou des directives du franchiseur à son égard tendant à le dissuader en pratique de s’approvisionner auprès de fournisseurs tiers.
  • De la même manière, concernant le critère des « prix imposés », en l’absence de clause imposant un prix fixe ou minimum, ce critère ne devrait être satisfait que dans le cas où le franchisé a caractérisé des pressions du franchiseur à son égard tendant à le dissuader en pratique de fixer des prix différents des prix « conseillés » ou « maximum ».
  • Enfin, le critère des « conditions imposées » ne devrait pas pouvoir être satisfait par le simple constat que le franchiseur a fixé des règles de commercialisation, sauf à méconnaître la nature même du contrat de franchise qui est un accord dit de « réitération » (en ce sens, D.Ferrier, « Pour une juste application du droit social aux distributeurs », Rec. D. 14 déc. 2017, n°43) ; cela implique pour le franchiseur, afin de s’assurer que les franchisés puissent réitérer la réussite qu’il a connue dans ses propres points de vente, de prévoir un certain nombre de normes (conditions d’utilisation uniforme du savoir-faire et de la marque, obligations liées à la sélection et à la présentation des produits, obligation d’approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif, politique de prix de revente conseillés ou maximum, attribution éventuelle de territoire, prescriptions pour les actions promotionnelles ou techniques, etc) et de contrôler la bonne application par les franchisés desdites normes.

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Régis Pihéry
Avocat Associé 

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