Droit public / domaine public : conclure un bail commercial engage la responsabilité de la personne publique

Droit public / domaine public : conclure un bail commercial engage la responsabilité de la personne publique.

 1- Le domaine public est incompatible avec le bail commercial.

Cette incompatibilité est jugée de longue date et retenue par l’ensemble des juridictions (Conseil d’Etat, Cour de cassation et Tribunal des Conflits). Elle tient au fait que les droits garantis au titulaire d’un bail commercial par la législation sont incompatibles avec certaines caractéristiques du domaine public.

Malgré cela, il arrive que des gestionnaires du domaine public concluent des baux commerciaux avec des opérateurs économiques souhaitant exercer une activité commerciale sur le domaine public.

2- Outre l’illégalité d’un tel bail commercial (qui implique donc qu’il soit remis en cause), sa conclusion est fautive et engage « par défaut » la responsabilité du gestionnaire du domaine public.

L’opérateur économique confronté à une telle situation peut donc solliciter la réparation des dépenses exposées dans la perspective ou au titre de l’exploitation de son activité dans le cadre du bail commercial illégal, ainsi que des divers préjudices commerciaux et financiers qui résultent de la faute commise par le gestionnaire du domaine public.

3- Mais, pour pouvoir prétendre à l’intégralité de la réparation de ses préjudices, l’opérateur économique doit cependant n’avoir lui-même commis aucune faute.

En effet, si l’opérateur économique a lui-même commis une faute en s’engageant dans un bail commercial alors même que l’activité s’exerce sur le domaine public, sa faute peut exonérer, en tout ou partie, la responsabilité du gestionnaire du domaine public.

La réparation du préjudice subi peut alors être réduite, voire exclue (ce qui peut avoir des conséquences potentiellement lourdes, notamment en cas d’emprunt souscrit pour l’activité).

4- L’appréciation des fautes commises par le gestionnaire du domaine public d’une part et par l’opérateur économique d’autre part dépend du contexte et des circonstances.

Cependant, il semble ressortir de la jurisprudence qu’il y aurait une sorte de présomption de faute de l’opérateur économique qui s’engage dans un bail commercial sur le domaine public (CE, 19 janvier 2017, SARL A …, req. n° 388010).

Le juge administratif semble en effet considérer que dès lors qu’un opérateur économique sait que son activité est sur le domaine public, il devrait savoir que la conclusion d’un bail commercial est impossible. Ce faisant il commettrait nécessairement une faute en acceptant de signer un tel bail avec un gestionnaire du domaine public.

Si l’appréciation de la faute commise est clairement dépendante du contexte et des circonstances de chaque affaire, on peut cependant s’interroger sur une telle approche.

En effet, d’une part ce sont en général les gestionnaires du domaine public qui rédigent eux-mêmes les contrats. Aussi, compte tenu de leur organisation, de leurs missions, bien souvent de la répétition de situations et, aussi, du fait qu’ils sont contrôlés par d’autres autorités publiques, on ne peut que s’interroger sur le fait qu’ils puissent s’engager sur un bail commercial.

D’autre part la notion même de domanialité publique, ses conséquences et sa portée, est très majoritairement méconnue des opérateurs économiques. Ces derniers sont en outre d’autant plus enclins à « faire confiance » au gestionnaire public qu’il est lui-même souvent enclin à laisser peu de marge de discussions ou négociations lors de la conclusion d’un tel contrat et même parfois à adopter des postures « d’autorités » qui effacent toute éventuelle interrogation du futur occupant.

5- Il appartient donc aux opérateurs économiques d’être « sur-vigilants » dès lors qu’ils s’engagent dans la conclusion d’un contrat portant sur l’occupation du domaine public pour y exercer une activité économique.

Ils ne doivent surtout pas se reposer sur un présupposé de bonne foi et de compétence du gestionnaire du domaine public puisque malgré les positions et déclarations de ce dernier, ils sont exposés au risque de se voir toujours reprocher de n’avoir pas su, par eux-mêmes, les spécificités du droit applicable au domaine public.

Or, compte tenu des conséquences potentiellement dramatiques en cas d’investissements importants, il est impératif que les opérateurs économiques soient donc prudents.

 

Alexandre Le Mière
Avocat associé

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