Déséquilibre significatif encore : libre négociabilité moyennant des contreparties ou justifications (art. #L442-6 I 2°)

Déséquilibre significatif encore : libre négociabilité moyennant des contreparties ou justifications (art. #L442-6 I 2°)

La Cour de Cassation confirme l’arrêt tant commenté de la Cour d’Appel de Paris du 1er juillet 2015 portant sur le versement d’une ristourne de fin d’année (la RFA) au bénéfice du distributeur.

Galec avait fait grief à l’arrêt de retenir un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, de prononcer l’annulation des clauses prévoyant ces obligations dans les accords GALEC conclus en 2009 et 2010 avec les quarante-six fournisseurs visés dans la liste jointe à l’arrêt, de le condamner à restituer les sommes perçues à ce titre et de prononcer à son encontre une amende civile et soutenait notamment que  :

  • le simple fait d’obtenir une réduction de prix de la part de son cocontractant ne soumet ce dernier à aucune « obligation » au sens de ces dispositions ; qu’en considérant, pour condamner le Galec, que la RFA Galec, qui constitue une simple réduction du prix fournisseur, caractérisait une telle « obligation », la cour d’appel a violé, par fausse application, l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
  • le « déséquilibre significatif » ne peut jamais résulter de l’inadéquation du prix au bien vendu par comparaison au droit de la consommation.

La cour de cassation confirme que « la similitude des notions de déséquilibre significatif prévues aux articles L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation et L. 442-6, I, 2° du code de commerce, relevée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011, n’exclut pas qu’il puisse exister entre elles des différences de régime tenant aux objectifs poursuivis par le législateur dans chacun de ces domaines, en particulier quant à la catégorie des personnes qu’il a entendu protéger et à la nature des contrats concernés ; qu’ainsi, l’article L. 442-6, I, 2° précité, qui figure dans le Livre quatrième du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et au Chapitre II du Titre IV, dédié aux pratiques restrictives de concurrence, n’exclut pas, contrairement à l’article L. 212-1 du code de la consommation, que le déséquilibre significatif puisse résulter d’une inadéquation du prix au bien vendu ».

Cette dernière phrase ouvre des possibilités inquiétantes pour la sécurisation des contrats et n’était pas nécessairement utile au raisonnement de la Cour.

La Cour va plus loin en indiquant que « l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce autorise un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d’une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

Pourtant il eut été possible de s’en tenir à un raisonnement proche de celui de la Cour d’appel que la Cour de Cassation reprend à son compte, même si tout un chacun rejoindra l’expression de la compréhension de la loi LME du 4 août 2008 reprise par Galec : la LME « a instauré le principe de libre négociabilité des tarifs et supprimé l’obligation de justifier toute réduction du prix fournisseur par une contrepartie ».

C’est là que l’arrêt de la cour d’appel du 1er juillet 2015, puis de récents avis de la CEPC, ont opéré un évolution inattendue.

La Cour de Cassation décide pourtant que :

  • L’arrêt de la cour d’appel susvisé « rappelle que la loi du 4 août 2008, qui a posé le principe de la libre négociabilité des conditions de vente, et notamment des tarifs, a maintenu le principe selon lequel les conditions générales de vente constituent le socle de la négociation commerciale ; qu’il relève que la libre négociabilité tarifaire se traduit notamment, pour le fournisseur, par la possibilité, prévue à l’article L. 441-6 du code de commerce, de convenir avec le distributeur de conditions particulières de vente, mais que les obligations auxquelles les parties s’engagent en vue de fixer le prix à l’issue de la négociation commerciale doivent néanmoins être formalisées dans une convention écrite ; qu’il en déduit que la formalisation des engagements des parties dans un document unique doit permettre à l’administration d’exercer un contrôle a posteriori sur la négociation commerciale et sur les engagements pris par les cocontractants ; que de ces énonciations et appréciations, la cour d’appel a déduit à bon droit que le principe de la libre négociabilité n’est pas sans limite et que l’absence de contrepartie ou de justification aux obligations prises par les cocontractants, même lorsque ces obligations n’entrent pas dans la catégorie des services de coopération commerciale, peut être sanctionnée au titre de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dès lors qu’elle procède d’une soumission ou tentative de soumission et conduit à un déséquilibre significatif » ;
  • et c’est peut-être le plus important : « les clauses relatives à la RFA, insérées dans les cent dix-huit contrats-cadres examinés, prévoyaient le paiement de cette ristourne, soit en contrepartie de la constatation d’un chiffre d’affaires non chiffré ou d’un chiffre d’affaires inférieur de près de moitié à celui réalisé l’année précédente et l’année durant laquelle la RFA était due, soit sans aucune contrepartie et retient que les fournisseurs ont versé une RFA alors que le distributeur n’avait pris aucune obligation ou aucune réelle obligation à leur égard » ; « les acomptes dus au titre de la RFA étaient calculés sur un chiffre d’affaires prévisionnel, proche de celui effectivement réalisé et très supérieur au montant du chiffre d’affaires sur lequel le Galec s’était engagé envers le fournisseur pour obtenir la réduction du prix et ajoute que l’article V du contrat-cadre permettait au distributeur d’obtenir le paiement des acomptes avant que le prix des marchandises ait été réglé et de bénéficier ainsi d’une avance de trésorerie aux frais du fournisseur » ;
  • « le Galec n’allègue pas que d’autres stipulations contractuelles permettaient de rééquilibrer la convention ».

Il s’agit là d’un élément utile dans le raisonnement : une clause pourrait être rachetée par une autre…

Autre élément, maintenant courant : l’absence de possibilité de négociation : « la ristourne a été imposée aux fournisseurs concernés par ces cent dix-huit contrats, qui ont dû signer les contrats-cadres sans pouvoir les modifier ; (…) les clauses litigieuses pré-rédigées par le Galec constituaient une composante intangible de tous les contrats examinés et n’avaient pu faire l’objet d’aucune négociation effective.

Rappelons que la sanction porte sur un remboursement de 61 288 677,84 euros à verser au Trésor public à charge pour lui de les restituer aux fournisseurs visés dans la liste jointe à l’arrêt

Cour de cassation, chambre commerciale, 25 janvier 2017, n° pourvoi : 15-23547 GALEC C/ Ministre de l’Economie.

Frédéric Fournier
Avocat Associé

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