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Attention à toujours bien vérifier les constats d’huissier produits par vos adversaires

Aujourd’hui il n’y a plus de débat sur le fait que la production de constats d’huissier dans le cadre d’un litige doit respecter un certain nombre de règles strictes issues de la jurisprudence de la Cour de cassation rendue en la matière.

En particulier, conformément à la jurisprudence, l’intervention du commissaire de justice (anciennement « huissier de justice ») doit être la plus objective possible, ce qui se traduit notamment dans le fait qu’il doit se borner à des constatations purement matérielles. Il lui est donc strictement interdit de recourir à des stratagèmes dans le cadre de la réalisation de ses constats.

Un arrêt récent de la Cour d’appel de Toulouse illustre parfaitement ce principe (CA Toulouse, 27 juin 2023, n°22/01120).

Dans cet arrêt, les demandeurs à la liquidation d’une astreinte ont produit un constat d’huissier pour démontrer que le franchiseur offrait des produits à la vente depuis son site internet malgré l’interdiction qui lui avait été faite.

Le franchiseur s’est opposé à cette demande en soulevant la nullité du constat d’huissier en ce qu’il a été obtenu grâce à un stratagème déloyal. Le franchiseur a notamment invoqué le fait que, pour effectuer son constat, le commissaire de justice s’était fait assister par un tiers (à savoir le gardien de l’immeuble au sein duquel il a son étude) dans la perspective de réaliser un achat de produits sur le site internet du franchiseur au nom de ce tiers tout en omettant de mentionner sa qualité de commissaire de justice.

La Cour d’appel, après avoir rappelé le principe de loyauté des preuves déduit de l’article 9 du Code de procédure civile et de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, a prononcé la nullité du procès-verbal litigieux dans les termes suivants :

« Il est constant que l’huissier instrumentaire ne peut user de manœuvres déloyales et notamment d’une fausse qualité ou d’un stratagème pour recueillir une preuve et que le procès-verbal de constat établi dans ces conditions ne peut être retenu comme preuve.

En l’espèce, l’huissier est entré dans le site en libre accès de Y, ce qui est parfaitement licite puis a eu recours à un tiers pour engager un processus de commande de produits alors que l’huissier qui se livre à des achats de produits en ligne est tenu de respecter le principe de loyauté en mentionnant sa qualité d’huissier.

En l’espèce, l’huissier a lui-même ouvert le site Y a donc eu une démarche active matérialisée par la demande faite au concierge de son immeuble, M. X, de s’installer derrière l’ordinateur de l’étude dans le but d’initier une commande alors qu’il n’est pas prétendu que M. X avait effectivement l’intention d’acheter un produit sur ce site.

Ainsi, l’huissier ne s’est pas borné à des constatations purement matérielles mais a outrepassé les pouvoirs qui lui sont donnés par l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945, justifiant l’annulation du constat par infirmation du jugement déféré ».

Le constat d’huissier constituant la seule preuve fournie au soutien de la demande de liquidation de l’astreinte, la nullité de ce constat a nécessairement entrainé l’infirmation du jugement attaqué et le rejet de l’ensemble de cette demande.

Cet arrêt illustre une fois de plus l’importance de toujours veiller à ce que les constats d’huissier versés aux débats ne procèdent pas de stratagèmes pouvant les fragiliser, au vu des effets domino que leur nullité est susceptible d’entraîner.

Régis PIHERY & Ron SHALIT

Pratiques anticoncurrentielles

Pratiques anticoncurrentielles: Restrictions horizontales (Comm. UE, règl. (UE) 2023/1067, 1″ juin 2023: JOUE n° L 143, 2juin 2023, Comm. UE, communiqué n° IP/23/2990, 1er juin 2023) :

Le 1er juin 2023, la Commission européenne a édicté un nouveau règlement d’exemption par catégorie (REC) applicables aux accords de spécialisation et des lignes directrices sur les restrictions horizontales, à savoir les accords, décisions ou pratiques concertées entre concurrents.

Sont légalementv exemptés les pratiques contribuant à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique et réserver aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, n’imposant aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs, ni donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence.

La nouveauté réside notamment dans l’ajout de nouveaux critères comme la question des « accords de durabilité » :  les règles applicables aux pratiques anticoncurrentielles permettent les accords entre concurrents qui poursuivent un objectif de développement durable.

La question des accords d’achat est aussi actualisée, en précisant la distinction entre achats groupés et ententes entre acheteurs. Les achats groupés englobent s’étendent les accords où les acheteurs négocient conjointement des conditions d’achat, mais achètent de manière indépendante.

Voir : https://competition-policy.ec.europa.eu/document/fd641c1e-7415-4e60-ac21-7ab3e72045d2_en

Frédéric Fournier

Avocat Associé

Redlink

Agent immobilier : agent commercial ?

Le 19 mai 2023, la Cour de Cassation (Com., n° 21-23.533) se prononçait sur un litige opposant un commercialisateur de programmes immobiliers à deux banques, avec la mission pour le promoteur de vendre des biens immobiliers à des clients que les banques lui adressaient.


Sur le statut, la Cour rappelle les dispositions de la loi du 2 janvier 1970 qui fait bénéficier l’agent immobilier du statut protecteur d’agent commercial.

Cependant, elle casse l’arrêt d’appel qui a admis le droit à indemnité compensatrice du préjudice subi au profit du commercialisateur, pour n’avoir pas recherché les conditions de fait dans lesquelles le commercialisateur exerçait effectivement son activité, au regard de la définition classique de la mission d’agent commercial.

Frédéric Fournier

Avocat Associé Redlink

Agence commerciale : des questions de qualifications du contrat, toujours : Absence de négociation et conclusion de contrats

La Cour d’appel de Rennes (3ème Chambre Commerciale, 2 mai 2023, n°21/01627) a décidé, dans un litige opposant un fabricant de dispositifs médicaux et son agent en juillet 2012 non renouvelé par le mandant, que le contrat et avenants passés entre les parties ne constituaient pas un contrat d’agent commercial. L’agent est débouté de sa demande d’indemnité compensatrice du préjudice subi.


En effet, si les contrat et avenants avaient pour titre « mandat d’agent pour le développement marketing, commercial, partenarial et corporate », est défini comme un contrat d’agent commercial à plusieurs reprises et comporte en préambule la mention que « l’objectif assigné à [l’agent] est de préparer, organiser, suivre, négocier, voir conclure la vente de produits, services et/ou de licences, la conclusion d’accords commerciaux et/ou de partenariats pour le compte [du mandant]. », l’objectif principal mais non limitatif du mandat étant de « préparer, organiser, structurer, solliciter, suivre, négocier et assister à la conclusion de la vente de tous produits et services et/ou de tous accords et/ou tous partenariats et/ou toutes collaborations et/ou tous investissements sous toutes formes, afin de permettre le développement corporate, commercial et partenarial [du mandant] ».


La Cour rappelle le principe maintenant établi que « le statut d’agent commercial, d’ordre public, ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans un contrat ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais de la mission effectivement donnée au mandataire et de ses conditions d’exécution ».


Prenant en considération que :

  • les objectifs susvisés « étaient beaucoup plus larges que la simple négociation ou conclusion de contrats », que le mandant attendait « une assistance sur « les aspects opérationnels, stratégiques,et financier au niveau mondial dans la prospection, la recherche, le suivi et la négociation de partenaires, de clients » » ;
  • le mandant demandait une prestation de conseil ;
  • le mandant n’avait pas de produit fini dans certains pays en l’absence d’AMM, à vendre dans la mesure où son procédé ZENEO ne bénéficiait pas des autorisations de mise sur le marché délivrée par les autorités sanitaires des différents pays où elle souhaitait le commercialiser ;
  • le mandataire « recherchait des partenaires (…) susceptibles de croire » dans son produit, « afin de pouvoir effectuer toutes recherches nécessaires, en collaboration avec [le mandant], pour aboutir à un produit fini qui serait l’application du procédé » technique ;
  • « la rémunération était majoritairement forfaitaire , fixe et garantie, donc indépendante des résultats de l’exécution de son mandat »,


le contrat ne pouvait constituer un mandat d’agent commercial mais une mission de conseil, d’assistance, de recherche de partenaires commerciaux mais aussi d’investisseurs, avec une liberté dans ses méthodes et des pouvoirs de négociation s’apparentant à ceux de la direction commerciale d’une entreprise.

Frédéric Fournier

Avocat Associé

Franchise et Pratiques restrictives de concurrence : Bilan de la jurisprudence par la Faculté de droit de Montpellier

Chaque année, la Faculté de droit de Montpellier établit un bilan de décisions – publiées ou inédites – rendues dans le cadre de contentieux opposant des opérateurs économiques sur le fondement des règles relatives aux pratiques restrictives de concurrence et à la transparence tarifaire (Titre IV du Livre IV du Code de commerce).

Le dernier bilan, portant sur l’année 2022, vient tout juste d’être publié sur le site de la Commission d’examen des pratiques commerciales (https://www.economie.gouv.fr/cepc).

Les principales décisions relevées en matière de franchise par la Faculté de droit de Montpellier sont recensées dans le tableau ci-après :

Références de la décisionDispositif invoqué par le franchiséClause ou pratique contestéeSolution
CA Paris, 26 janvier 2022, n° 19/18768 et 19/18769Art. L. 442-6, I, 2° C.com. (ancien) : Soumission à des obligations créant un déséquilibre significatif  Clauses de référencement (avec taux de commission) et de paiement des fournisseurs (avec mandat de paiement)Rejet de la demande du franchisé : « l’élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l’absence de négociation effective » ; « il ne peut être inféré du seul contenu des clauses, la caractérisation de la soumission ou tentative de soumission exigée par le législateur. Or l’appelant, qui qualifie les deux clauses litigieuses du contrat de franchise de déséquilibre significatif, n’apporte aucun élément de contexte sur les conditions de sa négociation ni ne justifie avoir tenté en sa qualité de gérant de la société [franchisée] de faire supprimer les clauses critiquées. Il succombe donc à la charge de la preuve qui lui incombe et sa demande tendant à voir annuler les clauses [litigieuses] »
Com., 16 mars 2022, n° 19-17.875Art. L. 442-6, I, 2° C.com. (ancien) : Soumission à des obligations créant un déséquilibre significatif  Clause de prix de vente du fonds de commerce du franchiseur au franchiséRejet de la demande du franchisé : « l’arrêt retient que le prix de vente du fonds de commerce résulte de la libre négociation des parties. Par ce seul motif, faisant ressortir l’absence de soumission ou de tentative de soumission dans l’opération en cause, c’est à juste titre que la cour d’appel, faute de caractérisation de la condition de soumission, a décidé que la responsabilité de [l’enseigne] ne pouvait pas être engagée sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce »
CA Paris, 2 mars 2022, n° 20/09320Art. L. 442-6, I, 5° C.com. (ancien) : Rupture brutale de relation commerciale établie  Rupture par le franchiseur des relations avec son franchisé moyennant un préavis considéré comme insuffisantRejet de la demande du franchisé : Lorsque deux relations commerciales existent concomitamment entre un fournisseur et son master franchisé et entre ce dernier et un distributeur et qu’elles prennent fin pour qu’une troisième relation se noue entre le fournisseur et le distributeur, ce dernier ne peut pas faire remonter le point de départ de cette nouvelle relation au jour de celui de la relation qu’il entretenait avec le master franchisé. L’absence de reprise de l’ancienne relation est motivée par le fait que le fournisseur et le master franchisé soient deux entités juridiques distinctes et que le nouveau contrat conclu entre le fournisseur et le distributeur, bien qu’ayant le même objet (distribuer les produits du fournisseur) que celui qui existait entre distributeur et le master franchisé, n’évoque nullement une volonté de reprise de la relation.
CA Paris, 12 janvier 2022, n° 17/14189Art. L. 442-6, I, 6° C.com. (ancien) : Violation d’un réseau de distribution sélective ou exclusive  Ventes parallèles de véhicules automobilesAccueil de la demande de la tête de réseau : Le concédant tête de réseau démontre qu’un vendeur de véhicules qui s’était approvisionné dans l’UE auprès de distributeurs agréés d’une marque française et auprès d’autres sociétés intermédiaires européennes avait conscience d’un approvisionnement illicite, dès lors qu’il s’agissait d’un professionnel de l’automobile et qu’il faisait partie du réseau de réparateurs agréés de ladite marque depuis plusieurs années. Le dirigeant de cette société ne pouvait ignorer qu’il existait sur le marché UE un réseau de distribution sélective sous la marque pour les ventes de véhicules neufs ou immatriculés depuis moins de trois mois. Le vendeur a ainsi participé en connaissance de cause à la violation du réseau de distribution sélective des véhicules de cette marque au sens de l’article L. 442- 6, I, 6° c. ancien com

Par Régis PIHERY

L’insuffisance d’une étude d’impact environnemental justifie l’action en démolition d’un parc éolien.

Par un arrêt du 11 janvier 2023 (Cass. 3ème civ., 11 janvier 2023, n°21-19.778), la Cour de cassation assouplit les conditions d’une action en démolition suite à l’annulation d’un permis de construire.

1- Rappel de l’action en démolition

1.1- En application de l’article L.480-13 du Code de l’urbanisme (C. Urba.), lorsqu’une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire d’une construction ne peut être condamné par le juge judiciaire à la démolir que sous certaines conditions :

  • le permis doit avoir été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative ;
  • la construction doit méconnaitre les règles d’urbanisme ou les servitudes d’utilité publique.

1.2- Les constructions litigieuses susceptibles d’être démolies doivent se situer dans un des secteurs énumérés à l’article L.480-13 C. Urb.

En dehors de ces secteurs, seule une action indemnitaire pourra être intentée.

2- La portée de la décision : l’assouplissement de l’action en démolition

Par un arrêt du 11 janvier 2023, la Cour de cassation a considéré que l’insuffisance d’une étude d’impact relative à la présence d’un couple d’aigles royaux constituait une violation à une règle d’urbanisme, justifiant ainsi l’action en démolition intentée par les associations de protection de l’environnement contre un parc éolien.

Ce faisant, la Cour de cassation assouplit incontestablement les conditions de mise en œuvre de l’action en démolition qui n’était jusqu’alors susceptible d’aboutir qu’en cas de violation d’une règle d’urbanisme « de fond » ou substantielle.

Toutefois, le demandeur devra démontrer avoir subi un préjudice personnel en lien de causalité directe avec cette violation.

3- Comment éviter les risques de démolition en cas d’annulation d’un permis de construire ?

Pour éviter tout risque de démolition, il est possible de purger les illégalités d’un permis attaqué devant le tribunal administratif, par un permis de construire de régularisation (L. 600-5-1 C.Urb.).

Il est également possible de limiter l’annulation du permis à un vice n’affectant qu’une seule partie du projet et d’obtenir la régularisation de la partie annulée du permis (L.600-5 C. Urb.).

Ces procédures de régularisation sont possibles même après l’achèvement des travaux et peuvent être exercées en cours d’instance.

Ombeline SOULIER DUGENIE

Avocat

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000046990196?init=true&page=1&query=21-19.778&searchField=ALL&tab_selection=all

La Commission Européenne sanctionne Nike pour avoir limité les ventes transfrontières de produits dérivés


La Commission Européenne a infligé à Nike une amende de 12,5 millions d’euros (Nike a bénéficié d’une réduction de 40% pour avoir coopéré activement durant l’enquête) pour avoir interdit aux vendeurs de vendre des produits dérivés sous licence dans d’autres pays au sein de l’EEE.

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Le contrôle judiciaire du prix à l’aune du déséquilibre significatif validé par le Conseil Constitutionnel

Le Conseil Constitutionnel qui avait été saisi le 27 septembre 2018 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 894 du même jour) d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions du 2° du paragraphe I de l’article L. 442-6 du code de commerce vient de rendre le 30 novembre dernier une décision qui va certainement générer quelques commentaires (Décision n° 2018-749 QPC du 30 novembre 2018). Lire la suite

La CJUE rend un arrêt intéressant sur l’application d’une clause attributive de juridiction dans un litige en droit de la concurrence 

Par un arrêt du 11 octobre 2017 (n° 16-25.259), la Cour de cassation (1ère Chambre Civile) avait saisi la Cour de Justice de L’Union Européenne d’une question préjudicielle relative à l’interprétation de l’article 23 du règlement n° 44/2001 (Bruxelles I) concernant la portée d’une clause attributive de juridiction dans un litige en droit de la concurrence.

En l’espèce la clause litigieuse était rédigée de manière très générale en se référant aux différends surgissant dans les rapports contractuels. Lire la suite