Accusations de harcèlement : le salarié peut être attaqué au pénal en diffamation

On sait que lorsqu’il dénonce des faits qu’il estime constitutifs de harcèlement (moral ou sexuel), le salarié bénéficie d’une immunité disciplinaire : aucune sanction ne peut être prise à son encontre pour ce motif, à peine de nullité.

Cette immunité ne cède qu’en cas de mauvaise foi (connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce).

En principe également, le salarié n’encourt aucune poursuite pour diffamation publique de la part de l’auteur des agissements, ainsi qu’avait tenu à le préciser, en 2016 la première chambre civile de la Cour de cassation.

La chambre criminelle (Cass, crim.26 novembre 2019 nº 19-80.360) vient toutefois de juger que cette immunité pénale ne vaut que si les faits allégués ont été diffusés auprès de l’employeur ou des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du Code du travail.

S’ils ont été rapportés au-delà de ce cercle restreint, des poursuites pour diffamation publique redeviennent donc envisageables.

  • Les règles permettant d’agir contre le salarié accusateur : diffamation et dénonciation calomnieuse

La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse réprime, au titre de la diffamation, « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » (Loi, art. 29 et 32). Il appartient alors à la personne poursuivie d’établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires, seuls faits justificatifs permettant d’échapper à une condamnation.

Ces exigences probatoires, reposant exclusivement sur le salarié, risquaient de dissuader les victimes de s’exprimer.

En 2016, pour ne pas entraver l’effectivité du droit, reconnu par le Code du travail, de dénoncer des agissements de harcèlement, les juges ont écarté la possibilité d’agir en diffamation contre l’auteur de la dénonciation :

En cas de mauvaise foi du salarié, seules des poursuites pour dénonciation calomnieuse(C. pén., art. 226-10) sont envisageables, la charge de la preuve pesant alors sur la partie poursuivante (Cass. 1re civ., 28 septembre 2016, nº 15-21.823 PBRI).

Cette première décision laissait déjà entrevoir que la loi du 29 juillet 1881 resterait applicable « lorsque les faits allégués ont été diffusés auprès de personnes qui ne sont pas chargées de veiller à l’application des dispositions du Code du travail au sein de l’entreprise », sanctionnant ainsi « les dénonciations ayant donné lieu à une diffusion plus large que nécessaire » (Rapport annuel 2016 de la Cour de cassation, p. 161). 

L’arrêt de la chambre criminelle du 26 novembre 2019 vient directement le confirmer en l’illustrant par une condamnation.

« la personne poursuivie du chef de diffamation après avoir révélé des faits de harcèlement sexuel ou moral dont elle s’estime victime peut s’exonérer de sa responsabilité pénale, en application de l’article 122-4 du Code pénal, lorsqu’elle a dénoncé ces agissements, dans les conditions prévues aux articles L. 1152-2L. 1153-3 et L. 4131-1, alinéa 1er, du Code du travail, auprès de son employeur ou des organes chargés de veiller à l’application des dispositions dudit code…pour bénéficier de cette cause d’irresponsabilité pénale, la personne poursuivie de ce chef doit avoir réservé la relation de tels agissements à son employeur ou à des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du Code du travail et non, comme en l’espèce, l’avoir aussi adressée à des personnes ne disposant pas de l’une de ces qualités ».

En l’espèce, la salariée poursuivie avait adressé un courriel intitulé « agression sexuelle, harcèlement sexuel et moral » non seulement au directeur de l’association qui l’employait et à l’inspecteur du travail mais aussi à des cadres de l’association et au fils de l’auteur désigné des agissements.

La liste des destinataires excédant la limite du nécessaire, il en résultait que la dénonciation était redevenue passible de poursuites pour diffamation publique. 

  • En conclusion : quand et comment agir ?

Pas de diffamation possible si le salarié s’en tient aux membres de la direction, DRH/RRH, aux représentants du personnel ou encore à l’Inspection du travail. Seule la dénonciation calomnieuse est possible Diffamation possible si le salarié diffuse ses accusations auprès d’autres salariés, sur les réseaux sociaux ou auprès de clients.

Benjamin Louzier
Avocat Associé
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