Pratiques restrictives de concurrence : le Ministre de l’Economie peut exploiter dans des procédures judiciaires des déclarations d’entreprises victimes sans dévoiler leur identité

Dans un arrêt du 12 juin 2019, la Cour d’appel de Paris consacre la possibilité pour le Ministre de l’Economie, en matière de pratiques restrictives de concurrence, d’exploiter dans des procédures judiciaires des déclarations d’entreprises victimes sans dévoiler leur identité.

En l’espèce, le Ministre de l’Economie avait assigné une filiale du Groupe GENERAL ELECTRIC, considérant que cette dernière avait soumis ou tenté de soumettre certains de ses fournisseurs à des déséquilibres significatifs dans les droits et obligations des parties au sens de l’ancien article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce.

Afin de démontrer notamment la condition liée à la soumission ou tentative de soumission, le Ministre de l’Economie versait aux débats des procès-verbaux d’auditions de fournisseurs, sur lesquels il avait unilatéralement anonymisé le nom du fournisseur et de la personne auditionnée, l’activité du fournisseur et toute information relative au marché sur lequel il opère, ainsi que les éléments relatifs à son chiffre d’affaires passé et futur et la part de chiffre d’affaires qu’il réalise avec le défendeur.

Le défendeur faisait valoir que ces pièces n’étaient pas probantes car portant atteintes à ses droits de la défense.

La Cour d’appel rejette toutefois cette prétention, estimant que :

    • « Le Ministre, dans le cadre de sa mission de protection de l’ordre public économique, tel que définie par les dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce, a la charge de la preuve des pratiques qu’il soumet à l’appréciation des juridictions commerciales spécialisées. Il utilise à cette fin ses pouvoirs d’enquête, et, notamment, ses pouvoirs d’audition, pour démontrer les éléments constitutifs de ces pratiques. La nécessité de démontrer, dans la présente espèce, l’absence de négociation effective entre les parties le conduit à préserver l’anonymat des fournisseurs victimes en occultant certaines mentions des procès-verbaux permettant leur identification, afin que ces procès-verbaux puissent être versés aux débats, ce qui est fréquemment revendiqué par les entreprises mises en cause, sans pour autant risquer de provoquer des représailles à leur encontre ».
    • « Le procédé ainsi mis en œuvre dans ce dossier ne porte pas une atteinte excessive aux droits de la défense, la communication de procès-verbaux anonymisés ne causant pas, au regard des circonstances très particulières de l’espèce, une atteinte disproportionnée au principe du contradictoire au motif qu’ils sont dressés par des agents assermentés, ils portent sur des questions dont le défendeur a connaissance et auxquelles il peut répondre en produisant des pièces destinées à démontrer le contraire, le défendeur peut débattre contradictoirement du fond des pièces et de la portée des auditions dont le contenu n’est pas anonymisé, seules les informations empêchant toute réidentification de l’identité du déposant ont été tronquées, dans le seul but de préserver l’identité des déposants et l’efficacité de ces enquêtes et procédures destinées à protéger l’ordre public économique, puisqu’en cas contraire, le Ministre ne pourrait pas apporter de preuve relative aux griefs allégués, ou à tout le moins très difficilement ».
  • « Il n’est pas démontré que ces témoignages aient été obtenus déloyalement par les services de la DIRECCTE ».

« Au surplus, il sera vu infra, dans l’appréciation des critères de la pratique restrictive, que ces nombreuses déclarations, toutes concordantes, sont confortées par d’autres éléments du dossier et ne constituent pas les seuls éléments de preuve ».

Régis Pihery
Avocat Associé